Une histoire du diable (XIIe-XXe siècle) by Robert Muchembled

Une histoire du diable (XIIe-XXe siècle) by Robert Muchembled

Auteur:Robert Muchembled [Muchembled, Robert]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Le Seuil
Publié: 2017-04-24T16:00:00+00:00


L’imaginaire maléfique fragmenté

La rupture fondamentale se situe vers le milieu du XVIIe siècle. Du moins pour les pays de l’Ouest, car des processus proches de la confessionnalisation s’observent au XVIIIe siècle en Europe centrale et orientale, avec de grandes chasses aux sorcières, tandis que les régions orthodoxes ou sous domination turque ne semblent jamais avoir connu le phénomène dans toute son ampleur. L’explication de ce tournant n’est pas des plus simples. On a pu invoquer de multiples causes conjointes, dont le profond sentiment de lassitude et de dégoût consécutif aux horreurs de la guerre de Trente Ans (1618-1648) et des guerres civiles anglaises (1640-1660), ainsi que les progrès de la raison incarnés par Descartes (mort en 1650), ou encore les avancées de la science, notamment après 1660. Tout semblait concourir à la recherche d’une vision moins tragique de l’existence, plus calme et plus rationnelle. Aux Pays-Bas, une forme plus tolérante de calvinisme, reposant sur l’image d’un Dieu moins angoissant, l’arminianisme, prit une importance croissante10. Mais il serait faux de prétendre que l’une des principales raisons du déclin de Satan puisse se trouver dans l’arrêt des chasses aux sorcières11. La relation doit être exactement inversée : la diminution ou la disparition des persécutions contre les supposées adeptes du diable est liée à l’affaiblissement de la croyance au démon, au doute sur la réalité du sabbat et du pacte infernal. Robert Mandrou a montré avec brio que les bûchers de sorcellerie ont cessé de flamber très tôt, dès les années 1630, dans le ressort du Parlement de Paris, parce que les magistrats supérieurs en question ont adopté une attitude de doute face aux nombreuses accusations relayées par des juges subalternes portés à une féroce répression. Une lente mutation mentale a affecté les couches supérieures de la capitale française. Non pas uniquement à cause d’une poussée rationaliste et scientifique présageant les débats d’idées du XVIIIe siècle, mais également par une remise en question plus globale des modes de sentir et de penser jusque-là dominants. Certains critiques n’ont pas suffisamment noté les nuances de la démonstration du grand historien. Loin d’être enfermé dans la défense d’un scepticisme intemporel, il écrit certes que le recul de Satan provient d’une réfutation de l’obstacle métaphysique, mais il ajoute que les magistrats du Parlement ont substitué lentement « à une représentation du monde où les hommes vivent quotidiennement surveillés dans leurs moindres gestes par le Dieu du jugement dernier […] et quotidiennement assaillis par le Prince des Ténèbres […] une autre conception où la surveillance devient plus lointaine et l’intervention de Dieu ou du démon infiniment plus rare12 ». Pour prolonger l’analyse, il faut ajouter que la matrice du changement n’est pas purement intellectuelle ou religieuse. Elle procède d’une véritable révolution mentale, visible dans de nombreux aspects de l’existence, constituée par un « désenchantement » de l’univers. La science trouve des échos dans la médecine, la chirurgie, l’anatomie, qui scrutent le corps, découvrant peu à peu qu’il ne saurait se transformer au gré des volontés divines ou diaboliques supposées.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.