Une histoire buissonnière de la France by Graham Robb

Une histoire buissonnière de la France by Graham Robb

Auteur:Graham Robb
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editions Flammarion
Publié: 2013-01-14T16:00:00+00:00


Le coche de l’Yonne effectuait le même trajet et, sous sa cabane peinte de vert, offrait une grande pièce commune bordée de bancs, plusieurs cabines joliment décorées, de plus beaux panoramas et des passagers autrement enjoués. Les vapeurs du Rhône étaient certes plus exigus et plus sales, mais les gens qui pénétraient en Provence par le fleuve dépeignaient généralement le pays sous des couleurs plus favorables que ceux qui y étaient arrivés par la route. Dans son Voyage d’une ignorante dans le midi de la France (1835), la comtesse Gasparin concéda, du haut de sa superbe, que les points de vue admirables compensaient amplement « la foule incommode » qui bloquait les allées de ses paquets et bagages et ne faisait aucun cas de la distinction entre première et seconde classe 581. Les passagers voyaient se dérouler au fil de l’eau une fresque animée de châteaux perchés sur leurs promontoires, de vignes, de maisons de campagne et de gens qui les saluaient depuis les berges. Ils humaient l’air tiède de la Méditerranée ; ils apercevaient au levant le sommet blanc du mont Ventoux et les tours du palais des Papes d’Avignon ; et, au moment d’accoster près du pont Saint-Bénézet, ils entonnaient invariablement en chœur « Sur le pont d’Avignon ».

Lors du voyage de remontée, quand il arrivait que le courant immobilise pendant des heures leur embarcation, ils se consolaient en songeant aux malheureux passagers des diligences qui avaient à affronter les charretiers de Provence, tristement célèbres pour refuser systématiquement de céder le passage aux attelages arrivant en sens inverse, sauf si leur cheval de tête avait quatre pieds blancs, auquel cas, conformément à une ancienne coutume, ils avaient la priorité 582. « Deux ou trois fois, raconta Stendhal, ma pauvre petite calèche a été sur le point d’être brisée par les énormes charrettes à six chevaux venant de Provence. […] Il est vrai que j’ai des pistolets, mais ces charretiers sont capables de n’en avoir peur qu’après que j’aurais tiré 583. »

Les bateliers faisaient eux aussi leur propre loi, mais leurs passagers, jusqu’aux plus raffinés, se laissaient gagner par l’humeur chamailleuse des gens d’eau. Dans toute la France, quand deux bateaux se croisaient, des salves d’injures fusaient d’un bord à l’autre : on se répandait en railleries sur la ridicule lenteur du concurrent, la laideur de son équipage et en propos égrillards sur la profession supposée des femme, filles et mère du capitaine. Ce barrage d’invectives se poursuivait tant que l’on était à portée de vue et jusqu’à ce qu’on ne pût plus s’entendre. Le même rituel se répétait à chaque fois que l’on passait devant des maisons de campagne ornant les berges – quand les maîtres, épouses, enfants et domestiques étaient aux fenêtres – au besoin, avec des porte-voix 584.

Ces bateaux étaient les espaces publics de la nouvelle France, où les barrières de classe s’estompaient, où les gens avaient des potins et des nouvelles à échanger, et où – à en juger par les nombreux récits de voyages fluviaux – les rencontres fortuites conduisaient fréquemment à des aventures sentimentales.



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