Un Prêtre marié by Jules Barbey d'Aurevilly

Un Prêtre marié by Jules Barbey d'Aurevilly

Auteur:Jules Barbey d'Aurevilly
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9759f51e3750bd177031c831c05845d979ec7a8b
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2015-01-14T16:00:00+00:00


XVI

Le lendemain du jour où elle eut avec Sombreval cette dernière entrevue au bas du perron du Quesnay, la grande Malgaigne fut vue de bonne heure au bourg de S..., chez le vieux teinturier du bourg.

« Tenez ! – dit-elle en entrant dans la teinturerie et en faisant rouler de son dos un paquet enveloppé dans un de ses tabliers de fil rayé, v'là de la besogne pour vous, père Brantôme ! Teignez-moi tout cela en noir ; et si vous aviez dans votre cuve une couleur plus désolée et plus sombre, ce serait celle-là que je voudrais : mais la seule cuve où il y ait plus noir que le noir – ajouta-t-elle avec une ardeur sourcilleuse – c'est le fond de nos cœurs ! »

Le père Brantôme, comme elle l'appelait, regardait de tous ses petits yeux cette exaltée qui ne faisait rien comme une autre. « Est-ce que vous avez quelqu'un de mort ?... » lui dit-il. Mais il se mordit la langue pour se punir d'avoir dit une bêtise. La Malgaigne n'avait pas de famille, et dans un pays si profondément familial, c'était là un malheur qui avait sa honte. Cette étonnante octogénaire avait toujours vécu isolée dans la vie, aux yeux des générations qui l'entouraient. Elle était de ceux-là qui n'ont pas d'origine connue, et dont on dit dans la contrée : « On les a trouvés sous un chou. »

« Vère ! – dit-elle en s'en allant, je suis en deuil pour le reste de ma vie – jusqu'à ce qu'ils jettent sur ma vieille tête le drap mortuaire qui doit nous couvrir tous ! »

Elle imposait tellement, cette grande Malgaigne, grande comme les superstitions du pays, que Brantôme, le teinturier, la laissa partir sans autre observation ; mais, du seuil de la porte ouverte, il avisa le boulanger Vigo qui passait, en manches de chemise, un mousquetaire34* sous chaque bras.

« Psitt, Vigo ! – fit-il – de qui peut-elle être en deuil, la Malgaigne, qui n'a jamais eu ni père, ni mère, ni mari, ni enfants, ni oncles, ni tantes, ni cousines ?... »

Vigo était ce que l'on appelle « un luron » de cinquante à cinquante-cinq ans, au large dos, élargi encore par l'habitude de porter au four la pâte de tous les pétrins du bourg de S..., et qui, en souvenir des succès et des bonnes fortunes de sa jeunesse, avait gardé un énorme catogan qu'il n'avait pas besoin de poudrer avec la fleur de farine dont il était ordinairement couvert ; joyeux compagnon, gris comme une ardoise, mais faraud ; accoutumé à rire et à jocqueter avec toutes les commères de son four, et plus commère qu'elles, le compère !

« Ni enfants ! ni enfants ! – dit-il de sa basse-taille mordante au teinturier qui suspendait, avec une longue fourche, une pièce de laine bleue au clou de sa porte, pour la faire sécher. Vous n'en savez rien, ni moi non plus, père Brantôme ! Elle a dû être un fier



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