Un Pedigree by Patrick Modiano

Un Pedigree by Patrick Modiano

Auteur:Patrick Modiano [Patrick Modiano]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Biographical, Nobel
ISBN: 9782072376269
Google: KzL910A-wIoC
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2011-03-30T03:00:00+00:00


En septembre, à Paris, j’entre au lycée Henri-IV, classe de philosophie, comme interne, alors que mes parents habitent à quelques centaines de mètres du lycée. Cela fait six ans que je suis pensionnaire. J’avais connu une discipline plus dure dans les collèges précédents, mais jamais un internat ne me fut aussi pénible que celui d’Henri-IV. Surtout à l’heure où je voyais les externes sortir, par le grand porche, dans la rue.

Je ne me souviens plus très bien de mes camarades d’internat. Il me semble que trois garçons originaires de Sarreguemines préparaient l’École normale supérieure. Un Martiniquais de ma classe se joignait souvent à eux. Un autre élève fumait toujours une pipe, et portait une blouse grise et des charentaises. On disait qu’il n’avait pas quitté l’enceinte du lycée depuis trois ans. Je me souviens aussi, vaguement, de mon voisin de dortoir, un petit roux, que j’ai aperçu deux ou trois ans plus tard, de loin, boulevard Saint-Michel dans un uniforme de bidasse, sous la pluie… Après l’extinction des feux, un veilleur de nuit traversait les dortoirs, une lanterne à la main, et vérifiait si chaque lit était bien occupé. C’était l’automne de 1962, mais aussi le dix-neuvième siècle et peut-être une époque encore plus reculée dans le temps.

Mon père est venu une seule fois me rendre visite dans cet établissement. Le proviseur du lycée m’avait donné l’autorisation de l’attendre sous le porche de l’entrée. Ce proviseur portait un joli nom : Adonis Delfosse. La silhouette de mon père, là, sous le porche, mais je ne distingue pas son visage, comme si sa présence dans ce décor de couvent médiéval me paraissait irréelle. La silhouette d’un homme de haute taille, sans tête. Je ne sais plus s’il existait un parloir. Je crois que notre entrevue a eu lieu au premier étage dans une salle qui était la bibliothèque, ou bien la salle des fêtes. Nous étions seuls, assis à une table, l’un en face de l’autre. Je l’ai raccompagné jusqu’au porche du lycée. Il s’est éloigné sur la place du Panthéon. Un jour, il m’avait confié qu’il fréquentait lui aussi, à dix-huit ans, le quartier des Écoles. Il avait tout juste assez d’argent pour prendre en guise de repas un café au lait avec quelques croissants au Dupont-Latin. En ce temps-là, il avait un voile au poumon. Je ferme les yeux et je l’imagine remontant le boulevard Saint-Michel, parmi les sages lycéens et les étudiants d’Action française. Son Quartier latin à lui, c’était plutôt celui de Violette Nozière. Il avait dû la croiser souvent sur le boulevard. Violette, « la belle écolière du lycée Fénelon, qui élevait des chauves-souris dans son pupitre ».

Mon père est remarié avec la fausse Mylène Demongeot. Ils habitent au quatrième étage, au-dessus de chez ma mère. Les deux étages formaient un même appartement du temps où mes parents vivaient ensemble. En 1962, les deux appartements ne sont pas encore séparés. Derrière une porte condamnée, subsiste l’escalier intérieur que mon père avait fait construire en 1947, quand il avait commencé à louer le troisième étage.



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