Un parfum de jasmin by Michel Déon

Un parfum de jasmin by Michel Déon

Auteur:Michel Déon [Déon, Michel]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 9782072665042
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2016-06-15T04:00:00+00:00


La baleine

J'étais un matin à ma fenêtre, regardant Dino travailler dans le jardin, quand des cris montèrent du lac. A la surface de l'eau une tête émergeait, des bras battaient avec furie. « Help ! Help ! » hurlait une voix de femme interrompue par des gargouillis.

Je me déshabillai à demi en descendant les escaliers quatre à quatre et entraînai Dino qui, la main en visière, contemplait le lac avec intérêt. Arrivé au bord de l'eau, je n'avais plus que mon pantalon à faire glisser. La voix criait encore « Help ! Help ! » mais par intermittences, et les bras giflaient avec désespoir l'eau calme. Les cinquante mètres me parurent très longs avant d'arriver à une grosse face rouge barbouillée de cheveux, qui étouffait d'avoir bu une gorgée trop brutale. Ses yeux tournaient encore comme des boules. Affolée, la femme tendit la main vers moi et manqua m'agripper à l'épaule. Je m'écartai et la contournai pour essayer de la surprendre de dos, mais elle pivota également, retrouvant un peu de souffle pour crier : « Help ! » d'une voix qui me parut énorme. Je parvins enfin à lui planter un genou dans les reins et à passer l'avant-bras sous son menton. Elle se débattit encore, puis se laissa faire. Je regardai vers la rive. Dino ne m'avait pas suivi. Il était tranquillement occupé à ouvrir les portes du garage à bateau, à préparer les rames. Sous mon bras, la grosse créature essoufflée se raidit, tenta de se dégager, cria de nouveau. Elle allait m'entraîner au fond du lac. Je lui cambrai les reins d'un genou plus rude et elle poussa un cri de douleur. De la rive Dino me fit signe de patienter. Il s'asseyait sur le banc du bateau et prenait les rames. Tout le village de Gandria aux fenêtres, suivait avec intérêt l'aventure. Je ne jure pas que le départ de Dino ne fut pas applaudi.

Est-ce parce qu'elle l'aperçut ? Est-ce par fatigue ? En tout cas, la grosse créature que je maintenais s'apaisa soudain. Son corps remonta vers la surface et fit la planche. Dino arrivait. Pour la hisser, ce fut une autre histoire. Il me fallut peser de l'autre côté de la barque. Le tas finit par rouler contre le plat-bord et tomber avec un bruit humide et gluant dans le fond. Dino était hilare.

J'écartai les cheveux de la face écarlate. Les yeux ne roulaient plus comme des billes. Un sourire se dessina sur les lèvres qui murmurèrent : « Thank you, Dino ! » Les formes gélatineuses comprimées dans un pudique maillot de bain noir à jupette, appartenaient à une Anglaise entre deux âges que nous croisions souvent dans les rues de Gandria, habillée tantôt en paysanne tyrolienne, tantôt en moissonneuse lombarde avec corsage à fleurs, jupe rayée blanc et rouge et chapeau de paille à rubans de velours. Sur la rive, ma femme nous attendait avec des serviettes.

Nous dûmes encore hisser notre créature sur le môle. Elle ne nous aida guère, puis se mit à pleurer pendant que nous la frottions énergiquement avec des serviettes.



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