Un Juif pour l'exemple by Jacques Chessex

Un Juif pour l'exemple by Jacques Chessex

Auteur:Jacques Chessex [Chessex, Jacques]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2253129615
Éditeur: Livre de Poche
Publié: 2012-06-08T23:11:01.700000+00:00


IX

Il est onze heures quinze. Dans la touffeur de l’étable, les trois hommes sont couverts de sueur. Le corps de Bloch occupe la courte allée entre les stalles, dans la sciure et la paille le visage est devenu rigide, d’un blanc transparent couleur de bougie, dira l’un des assassins lors de l’instruction. Ballotte se penche sur le cadavre.

— Ça pue, un mort, dit-il sourdement.

— Surtout un Juif, dit Marmier.

— Ce n’est pas tout, dit Ballotte. On nous a commandé de faire disparaître un youpin. Alors ce gros corps ? Qu’est-ce qu’on fait de ce tas de suif ?

— On pourrait le dissoudre dans l’acide chlorhydrique, dit Marmier. J’en achète par litres à la droguerie pour mes fosses septiques, ils ne se douteront de rien.

— C’est trop long, tranche Ballotte. Avec le poids du gros lard, il faudrait au moins trois jours.

On ne peut pas se payer le luxe de le laisser se dissoudre. Sale cochon.

C’est à ce moment qu’entre Ischi, suivi de Max, maintenant le groupe est au complet, il est onze heures vingt, les cinq hommes transpirent dans leur blouson de cuir.

— Beau travail, dit Ischi.

Il s’approche du mort, se penche sur le corps, rit, balance un coup de pied au cadavre.

— Heil Hitler !

— Heil Hitler ! répètent les quatre autres qui ont repris du poil de la bête.

— Et maintenant ? demande Ballotte.

— Maintenant on le fait disparaître.

— Acide chlorhydrique ? tente encore Robert Marmier.

— Imbécile ! crie Ischi. Tu sais bien que ce serait trop long. Tu as une hache dans ce local ?

Robert et les autres ont pâli.

— Ou une scie ? poursuit Ischi. Des couteaux de boucherie ?

— J’ai ce qu’il faut, dit Robert dans un souffle.

— Alors au travail, ordonne Ischi. Toi, Fritz, tu es le plus fort. C’est toi qui découperas le cadavre. La tête, les bras, les jambes, et note bien, à couper en deux, les jambes ! Puis tu t’occuperas du tronc. Ça va pas être simple avec ce poids. Regardez cette panse. Le salaud. Tout ça engraissé sur notre dos.

Les quatre hommes écoutent, approuvent, Robert déniche les outils. La hache, une scie solide, un long couteau de boucher.

— Il faut d’abord le déshabiller, dit Ischi. Et se partager son fric. Je vais faire les comptes. La plus grosse part au Parti. Je m’occupe de tout. Les habits, c’est très simple, on les brûlera en forêt. On a repéré un coin avec Max.

— Et le corps, demande Ballotte. Qu’est-ce qu’on fait avec les morceaux ?

— Je m’occupe de tout, répète Ischi. Tous les morceaux du salopard, on va les mettre dans des boilles, qu’on ira noyer à Chevrouxii. Je connais un pêcheur, dans le port. J’ai déjà prévu de lui emprunter sa plus grosse barque. C’est pour ce soir. À la nuit. À trois cents mètres de la rive on est en paix, ha-ha-ha, les poissons feront le reste.



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