Un Barrage contre le Pacifique by Marguerite Duras

Un Barrage contre le Pacifique by Marguerite Duras

Auteur:Marguerite Duras
La langue: fra
Format: epub
ISBN: EPUB9782072442377-56708
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2013-01-14T16:00:00+00:00


C'était au cinéma que Joseph l'avait rencontrée. Elle fumait cigarette sur cigarette et comme elle n'avait pas de feu, Joseph lui en avait donné. Alors chaque fois elle avait offert une cigarette à Joseph. Lui non plus n'avait pas cessé de fumer. C'était des cigarettes très bonnes et très chères, les plus chères, sans doute les fameuses « 555 ». Ils étaient sortis ensemble du cinéma et depuis ils ne s'étaient pas quittés. Du moins c'était la version sommaire que donnait Carmen de l'histoire de Joseph.

– Il en était à un tel point qu'il a suffi des cigarettes, ajoutait-elle.

Elle prétendait avoir rencontré Joseph dans le haut quartier et qu'il lui avait tout raconté lui-même. Mais comment savoir avec Carmen si elle disait la vérité ? Elle avait ses sources de renseignements à elle, ses filets. Elle devait même savoir où se trouvait Joseph mais elle se serait bien gardée de le dire. Et pendant huit jours et huit nuits Joseph ne reparut pas à l'Hôtel Central.

La mère en avait presque terminé avec les diamantaires et les bijoutiers. Elle ne comptait plus que sur les clients de l'hôtel, sur Carmen. De temps en temps, dans un sursaut, elle allait encore chez un diamantaire qu'elle avait négligé mais elle ne passait plus ses journées à courir par la ville. Elle ne cherchait même plus M. Jo. Elle l'avait trop cherché et elle en était dégoûtée, comme d'un amant. Elle disait que dès le retour de Joseph, elle retournerait chez le premier diamantaire qu'elle avait vu, celui qui lui avait offert onze mille francs du « crapaud » et qu'elle repartirait dans la plaine. Maintenant le plus clair de son temps, elle le passait à attendre le retour de Joseph. Elle avait payé sa chambre et sa pension jusqu'au jour où Joseph avait disparu. Ensuite elle avait décidé de ne plus le faire. Elle disait à Carmen qu'elle n'avait plus d'argent. Elle se doutait que Carmen savait parfaitement où se trouvait Joseph mais qu'elle ne le dirait jamais et que par conséquent elle acceptait tacitement de ne pas être payée le temps qu'il dépendait d'elle de laisser Joseph se satisfaire autant qu'il le voudrait. Cependant, elle ne prenait plus qu'un seul repas par jour, et on ne savait pas si c'était par scrupule ou pour essayer naïvement par ce chantage de fléchir Carmen. Suzanne, elle, mangeait à la table de Carmen et dormait dans sa chambre. Elle ne voyait plus la mère qu'au repas du soir. Toute la journée en effet celle-ci dormait. Elle prenait ses pilules et elle dormait. Toujours, dans les périodes difficiles de sa vie elle avait dormi comme ça. Lorsque les barrages s'étaient écroulés, il y avait deux ans, elle avait dormi quarante-huit heures d'affilée. Ses enfants s'étaient faits à ses manières et ne s'en inquiétaient pas outre mesure.

Depuis sa première tentative de promenade dans le haut quartier, Suzanne ne suivit plus aussi à la lettre les conseils de Carmen. Si elle y allait encore chaque après-midi, c'était pour se rendre directement dans un cinéma.



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