Un arbre en mai by Jean-Christophe Bailly

Un arbre en mai by Jean-Christophe Bailly

Auteur:Jean-Christophe Bailly [Bailly, Jean-Christophe]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782021384222
Google: lexDDwAAQBAJ
Éditeur: Seuil
Publié: 2018-01-02T23:00:00+00:00


Aux « événements » qui constituèrent ce saut je reviens. (Dans le récit, alternance des plots qui sont heurtés et de la résonance qui en découle, chaque point du temps est un croisement, un pliage de séquences, un rendez-vous.) À nouveau, entre le 6 mai et la nuit des barricades, quatre jours plus tard, il y a un vide dans ma mémoire : images à demi effacées de marches forcées, de discussions, d’attentes. Dans le « roman », je pourrais faire état de l’inquiétude qui croissait dans les familles – mon père aveugle collé le matin à son transistor, suivant le cours des choses avec un mélange de scepticisme et d’excitation sportive. Bien que son métier et l’orientation politique qu’il avait choisie (il se définissait plutôt comme gaulliste de gauche) ne l’y aient pas forcément préparé, il ne pouvait être en même temps que mon « supporter » et cette contradiction le troublait : si elle était aisément surmontable pour la guerre du Vietnam à propos de laquelle il lui était facile de comprendre ma révolte, qu’il partageait en un sens, elle devenait tendue si remontaient à la surface mes jugements sur le système entier et sur l’exploitation capitaliste. Je devrais sans doute aussi parler de mes zones de repli, des lettres que j’écrivais à M.C. rentrée à Clermont-Ferrand, de l’entretien discontinu que je continuais avec mon vieil ami Alexis, que j’avais connu en classe de quatrième au lycée, ou avec le petit cercle du café du Pont-de-Rouen qui, outre lui et moi, se composait de deux autres amis, Philippe et Jacques (Jean Coc, c’était lui – il est mort maintenant), cercle que ni les événements ni, plus tard, mon militantisme ne parvinrent à défaire. (Ce n’est que plus tard que le quatuor ainsi formé se distendit, certains partant au loin, ou se repliant.)

Mais si tout demeure si noyé, si imprécis, c’est sans doute d’abord à cause de la violente netteté avec laquelle, par contre, se détachent certaines images du film de la nuit dite des barricades, celle qui aura en tout cas été la grande nuit ou le grand soir, comme on doit dire, de ces journées. La contradiction est ici totale entre une dimension spontanément épique et un aspect de pur bricolage, entre une commune d’un soir pratiquement sans victimes et des conséquences politiques extraordinaires. Les formidables réflexions de Tolstoï, dans Guerre et Paix, sur l’indécidabilité et l’invisibilité des batailles, sur les lambeaux dépareillés de visions qu’elles constituent pour ceux-là mêmes qui en sont les héros, les comparses ou même les témoins, peuvent s’appliquer, intégralement et toutes proportions gardées, à tout événement mettant en jeu des masses d’hommes qui s’opposent sur un terrain donné, et l’on peut dire que lorsque ce terrain est urbain, l’invisibilité, l’impossibilité d’une saisie simultanée des situations sont peut-être encore plus frappantes. Une émeute de grande envergure est un parfait objet fractal : s’il est possible de la résumer dans l’opposition binaire de deux camps s’affrontant, elle se divise en fait en une infinité



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