Un adolescent d'autrefois by Francois Mauriac

Un adolescent d'autrefois by Francois Mauriac

Auteur:Francois Mauriac [Mauriac, Francois]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-02-13T11:57:03.802000-04:00 JF
Publié: 2015-09-15T11:45:06+00:00


Mais il faut d’abord que Donzac sache ce que Simon m’avait livré, ce soir où il vint rue de Cheverus. Ce secret, lui-même le tenait de Prudent, son frère, qui le lui avait raconté lors de son unique visite à Talence. Ma mère n’était point si persuadée que je l’avais cru de ma soumission et de sa victoire finale. À vingt et un ans, je pouvais être la proie du premier venu, de la première venue. Le risque était que quelqu’un, attiré par ma fortune, me mît le grappin. Mon hostilité au mariage ne la rassurait plus parce qu’elle comprenait que le mariage était pour moi l’unique défense sûre contre le Pou. Les années dangereuses, croyait-elle, c’étaient celles de ma vie d’étudiant à Bordeaux. Que je ne fusse pas une proie facile, elle le savait. Elle connaissait cette force d’inertie que j’opposais à toute tentative de séduction. Mais il suffirait d’une rencontre pour éveiller en moi un homme pareil aux autres, pire que les autres. Tant que je ne serais pas revenu à Maltaverne, que je n’y serais pas revenu pour toujours, rien ne serait gagné. Quand elle m’y aurait ramené enfin, que j’y aurais jeté l’ancre à jamais, alors tout s’accomplirait de ce qu’elle avait résolu.

L’important, comme elle l’expliqua au vieux Duberc (c’est de lui que Prudent tenait tout ce qu’il rapporta à son frère), était de ne pas se laisser surprendre. « Je ne l’ai plus en main, répétait-elle, je sens qu’il m’échappe. » Si je décidais de me marier, selon maman, le pire serait que je fisse un choix convenable qui ne soulèverait aucune critique. Mais même alors, elle saurait bien découvrir des impossibilités : il y a toujours des impossibilités. Je devrais me soumettre à son veto qui serait absolu. Elle tirait toute sa force de mon incapacité à mener mes affaires, à y arrêter seulement ma pensée. En dépit de mes succès scolaires dont elle s’enorgueillissait le jour de la distribution des prix, elle me jugeait selon l’échelle de valeurs qui avait cours chez les siens : la même que celle du Père Grandet. Rien n’a changé en France depuis Balzac. « Un pauvre être », voilà ce que j’étais pour maman en dépit de toutes mes lectures.

Si donc je m’obstinais, elle se retirerait sur ses terres de Noaillan, et me laisserait seul avec mes deux mille hectares sur les bras. Ce ne serait pas le pire : pour que je n’aie aucun recours, elle avait obtenu la promesse des Duberc qu’ils la suivraient à Noaillan, de sorte que je n’aurais rien d’autre à faire que de me soumettre, ne pouvant me passer à la fois de ma mère et de mon régisseur. Ce serait pour mon bien, elle me sauverait malgré moi. Je croyais l’entendre : « Je t’ai porté et je te porterai jusqu’à la fin de ma vie. »

Simon avait d’abord parlé d’un ton détaché et comme par devoir : « Il faut que vous sachiez, monsieur Alain… » Mais une rancune accumulée depuis sa petite enfance contre « madame » sourdait peu à peu à travers chaque mot.



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