Tropique du Cancer suivi de Tropique du Capricorne roman by Henry Miller

Tropique du Cancer suivi de Tropique du Capricorne roman by Henry Miller

Auteur:Henry Miller [Miller, Henry]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


Il s’arrêta net, me regardant encore, avec cette espèce de sourire étrange et blême. Le désespoir du Juif en qui, comme en tous ceux de la race, l’instinct vital est si fort que, même quand il n’y a plus l’ombre d’un espoir, la force manque pour se tuer. Cette forme de désespoir m’était tout à fait étrangère. Je me disais à part moi : « Si seulement j’étais dans sa peau, et lui dans la mienne ! Parole, me supprimer serait un jeu ! » Et ce qui me paraissait plus fort que tout, c’était l’idée qu’il ne s’amuserait même pas à l’enterrement – l’enterrement de sa femme ! Dieu sait, les enterrements ne sont pas drôles, d’ordinaire ; mais une fois que c’est fini, c’est bien le diable si l’on n’a pas l’occasion de manger un brin, de vider un pot et de se régaler de quelques bonnes obscénités bien tassées, de quoi se secouer un peu le ventre. Peut-être étais-je alors trop jeune pour goûter la tristesse de telles cérémonies, bien que rien ne m’échappât, des hurlements ni des sanglots des gens. Mais ça n’avait pas beaucoup de sens pour moi, vu qu’après l’enterrement, quand on se retrouvait au bistrot, tout à côté du cimetière, la bonne humeur l’emportait sur les vêtements de deuil, et le crêpe, et les couronnes. Pour le gosse que j’étais alors, on avait l’air de s’efforcer d’établir une sorte de lien, de communion avec le défunt. Quelque chose qui rappelait un peu la manière égyptienne, quand j’y pense. Il fut un temps où je prenais les gens pour une bande d’hypocrites, sans plus. Rien de plus faux. C'étaient tout juste de braves Allemands, bien portants et stupides, ayant la passion vigoureuse de vivre. La mort les dépassait, si étrange que ce puisse être ; à s’en tenir à leurs discours, on aurait pu penser qu’elle était une de leurs préoccupations majeures ; en fait, ils n’en saisissaient pas le sens – pas comme les Juifs, par exemple. Ils parlaient de l’au-delà, sans y croire vraiment. Et si quelqu’un poussait le deuil jusqu’à languir et pâtir, ils le regardaient avec suspicion, comme on regarde un fou. Pour eux, le chagrin, comme la joie, avait ses limites ; telle était l’impression qu’ils laissaient. Et parvenu à l’extrême limite, il fallait toujours se remplir l’estomac, à grand renfort de sandwichs au fromage de Hollande, de bière, de kummel et de cuisses de dinde s’il s’en trouvait. Ils pleuraient dans leurs pots de bière, comme des enfants. Et l’instant d’après ils riaient, riaient en se rappelant un travers du défunt. Même leur façon de se servir du verbe au passé avait un curieux effet sur moi. Le défunt n’était pas sous terre depuis une heure qu’ils disaient de lui : « Il était toujours de si bonne composition », comme si la personne en question était morte depuis mille ans, avait déjà pris place dans l’histoire, était devenu un héros du Nibelung. Le fait était que l’homme



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