Traduire Hitler by Olivier Mannoni

Traduire Hitler by Olivier Mannoni

Auteur:Olivier Mannoni [Mannoni, Olivier]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Éditions Héloïse d’Ormesson
Publié: 2022-10-13T22:00:00+00:00


Si l’on veut comprendre comment il fonctionne – et comment fonctionnait cette confusion linguistique qui était l’une des caractéristiques majeures de la langue nazie, et permettait avant tout la confusion de la pensée –, la seule solution est de traduire ce texte à l’état brut. Ce discours joue notamment sur les possibilités d’une langue qui, contrairement à ce qu’on croit (et à ce qu’on enseigne, hélas, trop souvent), n’a rien d’un idiome rigide et définitif mais se caractérise par une polysémie considérable. Chez Goethe, chez Thomas Mann, chez Kafka, elle permet de déployer une infinie palette de nuances. La langue allemande est de ce point de vue un enchantement pour le traducteur : tant de mots, de phrases, peuvent, selon qu’on choisit un sens ou un autre, changer sinon sur le fond, du moins dans les détails, le ton, la visée. Pour les nazis, cette richesse était une arme. Elle joua un rôle dans l’installation du régime, dans ses manœuvres expansionnistes, dans le montage de la mécanique de l’assassinat de masse. Quand tout fut terminé, il fallut, littéralement, traduire le langage nazi dans un allemand courant, puis le transposer dans les langues officielles des procès de Nuremberg pour parvenir à comprendre ce que disaient réellement les documents. Elle joue encore un rôle aujourd’hui en France et ailleurs, quand des descendants de Faurisson et de Bardèche s’accrochent à ces mots truqués pour effacer de nouveau ce qu’ils avaient caché et reconstituer une réalité conforme aux mensonges de l’époque, ou quand un Dieudonné tente de faire de l’humour sur « le puissant lobby juif international » ou sur le tueur néonazi norvégien A. B. Breivik, qu’il qualifie de « star montante des productions judéo-maçonniques67 ».

Ce détournement de la langue n’était pas accessoire : il était la quintessence du totalitarisme nationalsocialiste. Dans la remarquable analyse qu’il consacre au LTI de Victor Klemperer68, Georges Didi-Huberman montre qu’après avoir lu la phrase nazie : « Quand un Juif écrit en allemand, il ment », Klemperer a compris qu’il était « mis en cause par une langue nouvelle, une langue d’acier » qui voulait « le disjoindre de sa langue de cœur et d’intelligence69 ». Et cette « langue d’acier » n’était pas susceptible d’être entfernt, d’être mise de côté, autre terme nazi pour désigner l’élimination : « La langue du IIIe Reich est constamment autour de moi, elle ne me quitte pas un instant », note Klemperer dans son Journal le 20 juillet 194170. Si cet encerclement est insupportable, c’est que Klemperer discerne, avec une lucidité dont peu d’autres firent preuve à l’époque, la nature et le but de ce langage : « Puis viennent les expressions de la terreur exterminatrice, avec leurs déguisements éhontés : “Parti sans laisser d’adresse” (abgewandert) – l’adresse réelle étant Theresienstadt ou Birkenau – tamponné à l’encre bleue sur les enveloppes renvoyées à l’expéditeur. […] Le jargon domine tout. “La nouvelle philosophie du langage […] veut servir la politique, aspire à l’aurore politique” dans le mot, dans la langue. »



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