Tout compte fait by Simone de Beauvoir

Tout compte fait by Simone de Beauvoir

Auteur:Simone de Beauvoir [Beauvoir, Simone de]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782072720949
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2017-12-15T05:00:00+00:00


Ces trois dernières années nous avons renoué avec une ancienne tradition : au printemps, nous avons passé une quinzaine de jours en Provence. La première fois ce fut à Antibes, les deux autres à Saint-Paul-de-Vence. De Saint-Tropez à San Remo, de la côte aux neiges de Valberg et du col de Turini, j'ai revu ce pays où se superposent pour moi tant de souvenirs. Certains ne correspondent plus à la réalité : à Juan-les-Pins, la villa de Mme Lemaire, transformée en clinique, est prise dans un ensemble de constructions neuves et laides. Une immense bâtisse, qu'on aperçoit de partout, posée au bord de la mer comme une grosse verrue, défigure la baie des Anges. Mais des remparts d'Antibes et du haut des collines, j'ai retrouvé, semblables à eux-mêmes, les beaux paysages de montagnes descendant doucement vers le bleu de la mer : en cette saison, elles étincelaient de blancheur sous leur capiton de neige. Le chemin de crête qui mène de Gassin à Ramatuelle et que j'ai si souvent parcouru est à présent carrossable : mais il est encore silencieux et solitaire et le dessin de la presqu'île n'a pas bougé. J'ai retrouvé inchangées les gorges du Cians et du Daluis aux belles couleurs rouges, et cette « route aérienne » – selon l'expression du Guide bleu – que j'avais suivie à pied avec Olga : prolongeant la corniche du Var elle court à mille mètres d'altitude, et des deux côtés elle domine de magnifiques panoramas. Dressé sur un piton au-dessus des gorges du Loup, Gourdon a fait des concessions au tourisme ; le long des rues s'alignent des boutiques où l'on vend de la pacotille. A Cagnes, à Cabris les terrasses des cafés sont envahies par des visiteurs ; mais le cœur de ces petites villes est demeuré intact. J'ai retrouvé mon passé à Broc, sur la corniche du Var ; à Sainte-Agnès, d'où l'on voit des orangeraies déferler vers Menton ; Saint-Paul-de-Vence même ressemble à son ancienne image lorsque au soir tombant les touristes l'ont désertée ; sombre, silencieuse, toutes ses boutiques fermées, on n'y entend que le bruit de ses pas et le murmure d'une fontaine. En face, une colline s'illumine ; j'ai été intriguée la première nuit par cette fête étincelante : ce sont des serres violemment éclairées à l'électricité.

Tout en ressuscitant des temps plus ou moins lointains, j'ai aussi fait quelques découvertes : dans les Maures, une route de corniche qui serpente à travers des pinèdes ; des routes de montagne, entre San Remo et Vintimille, jalonnées de merveilleux villages. Près de Tende, dans un site solitaire, une étonnante chapelle dont un peintre italien a entièrement recouvert l'intérieur de fresques naïves : le Guide les qualifie de « réalistes » mais ce sont des évocations fantastiques de l'enfer et de ses supplices.

J'ai aussi visité la galerie Maeght que je ne connaissais pas. J'ai pu y contempler mieux que nulle part ailleurs les hommes en marche de Giacometti. Et beaucoup de très beaux tableaux.

Mais bien souvent



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