Tout ce dont on rêvait (LITT.GENERALE) (French Edition) by François Roux

Tout ce dont on rêvait (LITT.GENERALE) (French Edition) by François Roux

Auteur:François Roux [Roux, François]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2017-01-03T23:00:00+00:00


Quelques jours après son retour de vacances, Justine revit sa patiente workaholic, qu’elle recevait depuis plus d’un an maintenant. Dernièrement, la CEO avait annulé une série de quatre rendez-vous successifs et Justine désespérait de la revoir un jour. Quand Patricia se présenta à la porte de la salle de consultation, sa psychologue eut du mal à la reconnaître. Il y avait sa tenue d’abord – bien moins élégante, bien moins sophistiquée qu’à l’habitude –, il y avait surtout son visage. Ses traits s’étaient amollis et débarrassés de la tension qu’on y lisait auparavant, il s’y diffusait une tristesse nouvelle. Ses cheveux, autrefois enroulés en un chignon austère qui s’apparentait à un marqueur social, étaient aujourd’hui relâchés et retombaient en masse sur ses épaules, presque vulgairement.

– Je me suis fait licencier, annonça-t-elle, avant même de prendre place dans la chaise que lui proposait Justine.

– Asseyez-vous, je vous en prie, dit la psychologue.

Patricia s’exécuta.

– Ils ont découvert… Pendant un comité de direction. Mon n+1 était venu tout spécialement de New York. J’avais tellement bu la veille. Je devais sentir l’alcool à plein nez.

Puis :

– J’ai craqué. Je me suis effondrée. Le burn-out classique, ce n’est pas à vous que je vais apprendre ces choses-là.

Elle marqua un temps assez long avant de reprendre :

– Je me sens libérée, d’une certaine façon.

– Qu’est-ce que vous comptez faire ?

– Je suis quand même partie avec un petit parachute.

Elle s’amusa du mot, qu’elle mima d’une main agile.

– J’ai de quoi voir venir. J’ai envie de voyager, de sortir, de voir du monde, de profiter de la vie… J’ai envie de…

Elle hésita encore, puis :

– En fait, je ne sais pas très bien de quoi j’ai envie ni ce que je vais faire. Mais ça n’a aucune espèce d’importance. En revanche, ce que je sais, c’est que plus jamais je ne me laisserai avoir comme j’ai pu le faire.

– C’est l’impression que vous avez, de vous être fait avoir ?

– Disons que tout ce que j’ai accompli jusqu’ici, je crois que je l’ai fait pour de mauvaises raisons. J’ai toujours été très sage, très obéissante.

Elle marqua une pause.

– Je pense avoir un peu trop confondu mon désir avec celui des autres.

Justine eut un sourire compatissant. Elle était plutôt inquiète. Qu’allait faire cette femme de cette liberté si brutalement, si chèrement acquise ? Pouvait-on parler de liberté dans son cas ? C’était, en ce qui la concernait, un choix où n’entrait aucune préférence. Plus jamais je ne me laisserai avoir comme j’ai pu le faire. Tout cela n’était que des mots. Justine le savait, pour les manipuler chaque jour, les mots que ses patients prononçaient devant elle et à son intention – parfois pour la séduire, parfois pour lui faire plaisir ou la tranquilliser, le plus souvent pour s’inventer de fausses raisons d’être ou pour se désengager d’une sorte de responsabilité morale vis-à-vis d’eux-mêmes –, ces mots, qui formaient une suite apparemment logique, n’étaient en général que des enveloppes vides, des artifices sémantiques dénués de sens et, par conséquent, d’intérêt.



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