Tous, sauf moi by Melandri Francesca

Tous, sauf moi by Melandri Francesca

Auteur:Melandri, Francesca [Melandri, Francesca]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2019, à lire
Éditeur: Gallimard
Publié: 2019-03-12T23:00:00+00:00


Tandis qu’Otello étouffait ses ambitions et qu’Attilio attisait les siennes, le maréchal Rodolfo Graziani écrivait un mémoire en défense pour le procès dans lequel il était inculpé. Il était lourd d’accusations envers le général Badoglio qu’il taxait de « faux prophète ». De la défaite de Caporetto à l’effondrement du 8 septembre, c’était lui le responsable des pires désastres nationaux. Un homme qui avait perdu le droit de se dire officier quand il avait laissé le peuple italien dans la ruine et le chaos. Si, au lieu de Badoglio, le roi l’avait appelé, lui, Graziani, l’Italie n’aurait pas fini coupée en deux, les Allemands ne se seraient pas arrêtés à Rome, l’honneur national n’aurait pas été perdu. Lui n’aurait jamais trahi ses soldats et la patrie avec cet armistice dégradant.

Graziani leva son stylo de la feuille et porta la main à son côté, le visage tordu par une grimace. Non pas de dégoût envers son éternel rival, mais bien à cause des calculs biliaires qui lui coupaient la respiration. Des coups de poignard aussi soudains que ceux donnés dans son dos depuis toujours par ses ennemis. Et il ne pensait pas aux armées adverses.

C’était un mois d’octobre romain d’une particulière beauté, les cieux limpides comme en haute montagne, le soleil doux. Les feuilles pourries remplissaient l’air d’un vent de caducité. Et pourtant, dans cette chambre de l’hôpital militaire du Celio, le maréchal avait toujours froid. Depuis que le chirurgien de la prison de Procida, assisté seulement du pluriassassin Totonno le tireur, lui avait retiré l’appendice presque sans anesthésie, sa santé s’était dégradée. Il avait recommencé à sentir, un par un, les deux cent quarante-sept éclats d’obus qu’il portait plantés dans sa chair depuis l’attentat d’Addis-Abeba. À soixante-huit ans, extérieurement son physique était encore imposant, mais intérieurement c’était un champ de bataille, avec des artificiers ennemis infiltrés à l’arrière. Quelle que soit l’issue de cette farce de procès, le destin ne lui accorderait pas une mort de soldat.

Il était enfermé dans cet hôpital militaire depuis plus d’un an, loin de la terre aimée du haut plateau. Par égard pour son rang et son passé, on l’avait autorisé à se faire aider tous les matins par l’ordonnance Embailé Teclehaimanot. Au cours des quinze dernières années, même Inès, malgré son amour pour lui, n’avait pas partagé son sort autant que cet Éthiopien. Après une vie passée à défendre la patrie, c’étaient les seules personnes à qui il pouvait faire confiance : une femme et un Noir.

Tous les autres l’avaient trahi, mais aucun autant que Badoglio. Depuis vingt ans, il lui faisait faire le vidangeur pour le désavouer ensuite. À présent, par exemple, cet « Avis Graziani » comme l’appelaient ses accusateurs. Comme si menacer de représailles les familles des rebelles – « résistants », disait le ministère public, mais en substance c’était ça – ne relevait pas de la même stratégie avec laquelle il avait pacifié la Cyrénaïque. Mais à l’époque, tout le monde l’avait loué pour son inflexibilité, Badoglio le premier ; alors que maintenant il était poursuivi pour crimes de guerre.



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