Tous les frères font comme ça… by Boyet Laurent

Tous les frères font comme ça… by Boyet Laurent

Auteur:Boyet,Laurent [Boyet,Laurent]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2017
Éditeur: France Loisirs
Publié: 2017-01-08T23:00:00+00:00


Je n’ai pas ressenti d’émotions particulières en quittant mes parents. Je leur en voulais déjà de ne pas m’avoir aidé. Alors, je souhaitais juste qu’ils s’en aillent, qu’ils partent retrouver leur quotidien, leur vie banale. Moi, je me destinais à autre chose. Moi, je me sortais de tout ça. J’avais fui, comme mes sœurs finalement. Mais ce n’était pas une fuite désespérée comme elles. Moi, je voulais construire quelque chose, faire des études, profiter de cette vie qui était là, à portée de main, au beau milieu de cette ville immense.

Mais être étudiant, cela a un coût. Et une fois la chambre, les inscriptions à la bibliothèque et l’abonnement au bus payés, il ne me restait pas grand-chose, souvent pas assez pour pouvoir faire deux repas par jour tous les jours. Ce n’était pas comme ça qu’on m’avait décrit la vie étudiante. On m’avait parlé de fêtes et d’insouciance. J’avais lu que, pour tous, cela restait la meilleure période d’une vie. Eh bien, pour moi, c’est devenu très vite un enfer, un de plus, qui faisait resurgir l’autre.

Cette première année fut sans doute l’une des pires de ma vie. Et pourtant, à bien y réfléchir, elle fut aussi une année fondatrice. La faim me tiraillait. Je me couchais dans ma toute petite chambre, les gargouillis de mon ventre résonnant contre les murs trop proches les uns des autres. Alors mes souvenirs revenaient m’assaillir. Il fallait que je sorte, que je prenne l’air.

Je n’avais même pas vingt ans et, lorsque je marchais dans les rues froides et noires, je me demandais si ça en valait vraiment la peine. Vivre n’avait été jusque là qu’une épreuve. Je marchais sans but, sans direction, juste pour oublier et, dans mes déambulations nocturnes, j’ai croisé un peuple de gueux, de miséreux. J’ai croisé celles et ceux qu’on ne voit pas, dont on ne parle que quand l’un d’entre eux meurt pendant une nuit trop froide. Je me suis assis à leurs côtés, sur des bancs givrés. J’ai bu de leur mauvais vin pour me réchauffer. Elle était si mauvaise, leur piquette, que ça me détruisait le ventre. Je les ai entendus se plaindre de tout, de rien surtout, de toutes ces choses sans importance quand on a une maison, une famille, une vie normale.

Ma solitude, ma détresse, mon enfance se mélangeaient à leurs misères. Le long des quais de Saône on regardait les gens sortir des « petits bouchons », la panse prête à exploser. Ils riaient et passaient à côté de nous sans nous voir, sans nous entendre. Et lorsque la fatigue devenait trop forte, je me pressais de rentrer pour aller dormir un peu, avant les cours. C’est à cette époque que j’ai fini par perdre le sommeil. Je lui en voulais à celui-là aussi. Plus jeune, il me conduisait directement à mon bourreau.

Je ne m’endormais désormais qu’à bout de forces. Et lorsque le réveil sonnait, je cachais mes gueules de bois derrière un masque pour aller m’asseoir dans les amphithéâtres bondés. Mes voisins de banc arrivaient « en-cravatés », avec de beaux attachés-cases en guise de cartable.



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