Tours de France V3 by Antoine Blondin

Auteur:Antoine Blondin [Blondin, Antoine]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: La Table Ronde & Atelier Panik éd. numérique
Publié: 2013-05-25T22:00:00+00:00

DUPONT PARMI NOUS

Luchon. – Quand on évoque devant Jacques Dupont ses titres de champion de France, il prend son temps, puis répond posément :

« Lesquels ? »

Dupont qui fut un champion sur toutes les coutures est un homme auprès de qui il est particulièrement agréable de suivre une étape du Tour de France. Nous l’avons retrouvé à Montesquieu dont il est l’orgueil et nous avons vu un enfant du pays se métamorphoser sous nos yeux en enfant de la maison. La course cycliste est un tel mode de vie que la chose ne s’accomplit pas spontanément. Il faut réapprendre les rites. Nous avons fait d’abord du porte à porte. Sur chaque visage naissait une anecdote, la course légendaire se courait à reculons, nous confirmant que les commentaires sont la partie la plus durable du plaisir. L’angoisse de n’être pas reconnu par ses pairs qui avait pu troubler un instant Jacques Dupont fondait au soleil des retrouvailles. Kubler renouait avec les éclats tonitruants de sa période fauve. Geminiani et Caput, Maurice De Muer, avaient pour le revenant les mots d’autrefois. Personne n’avait vieilli et l’état d’enfance, heureusement préservé, colorait la fête.

Ai-je dit que Jacques Dupont, coureur extrêmement intelligent et judicieux, porte-drapeau de notre cyclisme amateur aux jeux Olympiques de Londres, recordman du monde du kilomètre, a été voici quelques années victime d’un grave accident ? Sa présence parmi nous dans les temps que nous vivons était hier un symbole tout à fait revigorant.

Une étape rendue très dure par le soleil, d’admirables chemins creux découverts comme par miracle dans une topographie dont on croyait avoir épuisé les ressources, la légère angoisse d’un peloton verrouillé par ses lignes de force auraient pu nous offrir une course parcimonieuse, tout à fait moderne et propre à déconcerter Dupont. Il n’en fut rien. Sur des routes peu connues, les pas se remirent néanmoins dans les pas pour le meilleur et pour le pire. L’échappée de Manzaneque, attendue depuis de longs jours, réveilla les échos épiques et, derrière, l’écroulement de Gimondi, rejoignant le naufrage de Koblet en 1954, repeupla les justes dimensions du paysage.

Dès Montesquieu précisément, Jacques Dupont – et nous avions l’impression de nous faire expliquer la relativité par Einstein, Wimbledon par Cochet, la danse par Lifar –, Jacques, donc, nous avait fait remarquer la sollicitude avec laquelle l’équipe italienne entourait son chef de file, hâve et anxieux. Le bidon qu’on débouche, le sachet de sucre qu’on dépiaute, le regard qu’on renvoie prenaient un sens très lourd. Quand Gimondi fut contraint de décrocher, escorté par une demi-douzaine de gaillards aux maillots verts, on eut le spectacle navrant de la faiblesse érigée en tyrannie.

Koblet, à l’époque, entraînait dans son naufrage une équipe qu’il stimulait encore. Gimondi, parfait jeune homme au demeurant, s’éteignait doucement. La résignation sage qu’on lisait sur son visage, le sang-froid à la dérive qu’il affichait à l’arrivée, donnent la mesure du pouvoir exorbitant dont jouissent les chefs de file italiens.

Il faudra remarquer que Gimondi se montra d’une dignité exemplaire, en conformité avec l’esprit chevaleresque

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