Thérèse desqueyroux by François Mauriac

Thérèse desqueyroux by François Mauriac

Auteur:François Mauriac [Mauriac, François]
La langue: fra
Format: epub
Tags: - Divers
Publié: 2012-06-15T11:10:07+00:00


VIII

Après que les La Trave eurent ramené Anne vaincue à Saint-Clair, Thérèse, jusqu'aux approches de sa délivrance, n'avait plus quitté Argelouse. Elle en connut vraiment le silence, durant ces nuits démesurées de novembre. Une lettre adressée à Jean Azévédo était demeurée sans réponse. Sans doute estimait-il que cette provinciale ne valait pas l'ennui d'une correspondance. D'abord, une femme enceinte, cela ne fait jamais un beau souvenir. Peut-être, à distance, jugeait-il Thérèse fade, cet imbécile que de fausses complications, des attitudes eussent retenu ! Mais que pouvait-il comprendre à cette simplicité trompeuse, à ce regard direct, à ces gestes jamais hésitants ? Au vrai, il la croyait capable, comme la petite Anne, de le prendre au mot, de quitter tout et de le suivre. Jean Azévédo se méfiait des femmes qui rendent les armes trop tôt pour que l'assaillant ait le loisir de lever le siège. Il ne redoutait rien autant que la victoire, que le fruit de la victoire. Thérèse, pourtant, s'efforçait de vivre dans l'univers de ce garçon ; mais des livres que Jean admirait, et qu'elle avait fait venir de Bordeaux, lui parurent incompréhensibles. Quel désœuvrement! Il ne fallait pas lui demander de travailler à la layette : « Ce n'était pas sa partie », répétait Mme de la Trave. Beaucoup de femmes meurent en couches, à la campagne. Thérèse faisait pleurer tante Clara en affirmant qu'elle finirait comme sa mère, qu'elle était sûre de n'en pas réchapper. Elle ne manquait pas d'ajouter que « ça lui était égal de mourir ». Mensonge ! Jamais elle n'avait désiré si ardemment de vivre; jamais non plus Bernard ne lui avait montré tant de sollicitude : « Il se souciait non de moi, mais de ce que je portais dans mes flancs. En vain, de son affreux accent, rabâchait-il : " Reprends de la purée... Ne mange pas de poisson... Tu as assez marché aujourd'hui... " Je n'en étais pas plus touchée que ne l'est une nourrice étrangère que l'on étrille pour la qualité de son lait. Les La Trave vénéraient en moi un vase sacré ; le réceptacle de leur progéniture ; aucun doute que, le cas échéant, ils m'eussent sacrifiée à cet embryon. Je perdais le sentiment de mon existence individuelle. Je n'étais que le sarment ; aux yeux de la famille, le fruit attaché à mes entrailles comptait seul. »

« Jusqu'à la fin de décembre, il fallut vivre dans ces ténèbres. Comme si ce n'eût pas été assez des pins innombrables, la pluie ininterrompue multipliait autour de la sombre maison ses millions de barreaux mouvants. Lorsque l'unique route de Saint-Clair menaça de devenir impraticable, je fus ramenée au bourg, dans la maison à peine moins ténébreuse que celle d'Argelouse. Les vieux platanes de la Place disputaient encore leurs feuilles au vent pluvieux. Incapable de vivre ailleurs qu'à Argelouse, tante Clara ne voulut pas s'établir à mon chevet ; mais elle faisait souvent la route, par tous les temps, dans son cabriolet " à la voie " ;



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