Tartarin Sur Les Alpes by Alphonse Daudet

Tartarin Sur Les Alpes by Alphonse Daudet

Auteur:Alphonse Daudet [Daudet, Alphonse]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Alps -- Fiction
Publié: 2004-02-01T00:00:00+00:00


Comme tous les hôtels chics d'Interlaken, l'hôtel Jungfrau, tenu par Meyer, est situé sur le Hoeheweg, large promenade à la double allée de noyers qui rappelait vaguement à Tartarin son cher Tour de ville, moins le soleil, la poussière et les cigales; car, depuis une semaine de séjour, la pluie n'avait cessé de tomber.

Il habitait une très belle chambre avec balcon, au premier étage; et le matin, faisant sa barbe devant la petite glace à main pendue à la croisée, une vieille habitude de voyage, le premier objet qui frappait ses yeux par delà des blés, des luzernes, des sapinières, un cirque de sombres verdures étagées, c'était la Jungfrau sortant des nuages sa cime en corne, d'un blanc pur de neige amoncelée, où s'accrochait toujours le rayon furtif d'un invisible levant. Alors entre l'Alpe rose et blanche et l'Alpiniste de Tarascon, s'établissait un court dialogue qui ne manquait pas de grandeur.

«Tartarin, y sommes-nous?» demandait la Jungfrau sévèrement.

«Voilà, voilà…» répondait le héros, son pouce sous le nez, se hâtant de finir sa barbe; et, bien vite, il atteignait son complet à carreaux d'ascensionniste, au rancart depuis quelques jours, le passait en s'injuriant:

«Coquin de sort! c'est vrai que ça n'a pas de nom…

Mais une petite voix discrète et claire montait entre les myrtes en bordure devant les fenêtres du rez-de-chaussée:

«Bonjour… disait Sonia, le voyant paraître au balcon… le landau nous attend… dépêchez-vous donc, paresseux…

—Je viens, je viens…

En deux temps, il remplaçait sa grosse chemise de laine par du linge empesé fin, ses knickers-bockers de montagne par la jaquette vert-serpent qui, le dimanche, à la musique, tournait la tête à toutes les dames de Tarascon.

Le landau piaffait devant l'hôtel, Sonia déjà installée à côté de son frère, plus pâle et creusé de jour en jour malgré le bienfaisant climat d'Interlaken; mais, au moment de partir, Tartarin voyait régulièrement se lever d'un banc de la promenade et s'approcher, avec le lourd dandinement d'ours de montagne, deux guides fameux de Grindelwald, Rodolphe Kaufmann et Christian Inebnit, retenus par lui pour l'ascension de la Jungfrau et qui, chaque matin, venaient voir si leur monsieur était disposé.

L'apparition de ces deux hommes aux fortes chaussures ferrées, aux vestes de futaine, râpées au dos et sur l'épaule par le sac et les cordes d'ascension, leurs faces naïves et sérieuses, les quatre mots de français qu'ils baragouinaient péniblement en tortillant leurs grands chapeaux de feutre, c'était pour Tartarin un véritable supplice. Il avait beau leur dire:

«Ne vous dérangez pas… je vous préviendrai…

Tous les jours, il les retrouvait à la même place et s'en débarrassait par une grosse pièce proportionnée à l'énormité de son remords. Enchantés de cette façon de «faire la Jungfrau», les montagnards empochaient le trinkgeld gravement et reprenaient d'un pas résigné, sous la fine pluie, le chemin de leur village, laissant Tartarin confus et désespéré de sa faiblesse. Puis le grand air, les plaines fleuries reflétées aux prunelles limpides de Sonia, le frôlement d'un petit pied contre sa botte au fond de la voiture… Au diable la Jungfrau!



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