Stop-Crève by Cavanna

Stop-Crève by Cavanna

Auteur:Cavanna
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Wombat
Publié: 2022-12-06T12:16:40+00:00


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10 Fournier (Pierre). Copain à moi. Un des fleurons de Charlie hebdo. Fondateur de La Gueule ouverte. Pionnier de l’écologie. Mort en 1973, à trente-cinq ans.

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Et « Stop-Crève » ? me demandez-vous. De temps en temps. De loin en loin. Un peu plus souvent, depuis quelque temps. C’est que la mort est à la mode, alors ça vous remet ça en tête. Ça me fait plaisir d’un côté, ça prouve qu’il y a parmi vous des fidèles, des vieux de la vieille. D’un autre côté, du côté du gros bout, ça me navre. C’est bien pourquoi j’avais arrêté. C’est pas que vous n’aimiez pas. Ça vous intéressait, ça oui, mais comme ça. Vous aimez bien qu’on en cause, que je vous amuse. Un sujet passionnant. Qui fait rêver. On y croit l’espace d’un instant, comme aux contes de fées. Bref, vous n’avez rien vu. Bouseux.

Et moi, pas assez acharné. J’ai baissé les bras. Pourtant, j’y crois, dur comme fer. Pardon pour le mot malheureux. Je veux dire : j’en suis rationnellement convaincu. Qu’il est possible de ne pas vieillir, donc de ne pas mourir, tout au moins d’usure, de décrépitude. Que cela sera un jour. Bientôt. Trop tard pour toi, pour moi, si on laisse les choses suivre leur train-train… Alors ? De toute façon, on n’a pas le choix, et ça, vous ne l’avez pas compris, ou pas assez, ou pas durablement. C’est ma faute. J’aurais dû remettre ça, répéter, répéter sans relâche, rabâcher, tant pis, vous écœurer, mais c’est qu’alors vous étiez des cons et qu’en avais-je à foutre, enfoncer le clou, encore et encore. Il y aurait fallu un Fournier. (Vous vous rappelez qui c’est ?) Je n’ai pas sa ténacité de bouledogue accroché à un fond de pantalon. Horreur de rabâcher. Supporte pas de m’emmerder. Tant pis. Tant pis pour vous, tant pis pour moi. Enfin, bon, vous voyez, de temps en temps, j’ai un hoquet, un rot de mauvaise conscience. Ce papier en est un.

On n’a pas le choix. On n’a pas choisi de naître, pourtant on est là. On n’a pas choisi d’avoir conscience d’être, pourtant on l’a. On n’a pas choisi d’être voué à la vieillesse, à la pourriture vivante et à la mort au bout, pourtant on l’est. On n’a pas choisi de savoir tout ça, pourtant on le sait. Et, le sachant, rien ne peut être comme si on ne le savait pas. On n’a pas le choix : l’unique tâche non ridicule qui s’offre à l’activité de l’homme, seul être vivant à avoir atteint ce seuil de conscience autoréflexive, est de refuser la mort. La seule façon non névrotique de cohabiter avec l’idée de sa propre mort est d’envisager la possibilité de la supprimer, et d’y œuvrer. De la supprimer physiquement.

*

En bref : la mort est une maladie. Une anomalie. (Oui, je sais, rien n’est anormal, rien n’est normal, tout est. Puisque c’est. Il n’y a pas quelque part une norme « décidée » par une autorité supérieure, quelle qu’elle soit, la baptisât-on « lois de la nature ».



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