Sovok by Cédric Ferrand

Sovok by Cédric Ferrand

Auteur:Cédric Ferrand [Ferrand, Cedric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: 2016-05-15T14:21:01.466000-03:00 JF
Éditeur: Les Moutons Electriques
Publié: 2015-12-06T23:00:00+00:00


22 h 58

Comme souvent grâce aux emportements de son patron, Méhoudar a élargi ses connaissances linguistiques en russe, en particulier dans le champ lexical de la génitalité et du handicap mental. Les remontrances radiophoniques sont maintenant terminées, c’est ça le plus important.

Les deux hommes se retrouvent dans ce temps de latence entre deux interventions, fait d’errance et de badinage gauche.

Vinkenti a garé la Jigouli dans une rue passante qui débouche sur plusieurs axes de circulation. En cas d’appel, ils pourront aisément rejoindre le lieu d’intervention. C’est une rue où le conducteur a ses habitudes. Il a même son rond de serviette dans plusieurs cantines du quartier, du Polonia qui sert une zupa kalafiorowa lui causant des gaz épouvantables, à la Stolovaya qui propose une carte basée exclusivement sur des recettes employant les marques soviétiques d’ingrédients de son enfance.

« Mon père distribuait encore le courrier dans le coin il y a trois ou quatre ans. Sur la fin, il m’arrivait d’enchaîner une nuit à Blijni et sa tournée à pied, quand il n’arrivait plus à assurer son service à cause de sa goutte. Heureusement qu’il a fini par obtenir gain de cause devant la commission de déclassement médical, car je te raconte pas les journées que ça me faisait. »

Méhoudar ne donne pas de signe d’encouragement à Vinkenti, pourtant ce dernier embraye :

« Ça fait que, moi, je connais bien les habitants des parages, tu vois. La milice venait souvent nous poser des questions, tu sais. »

Si seulement Manya était là pour l’asticoter un coup et faire cesser au passage cette verbosité envahissante.

« Et il n’y a pas que les gens à qui tu amènes le courrier. Tu finis par connaître les clients des troquets, les patrons des cambuses. Mon père, dans le temps, il pouvait manger une bouchée dans chaque restaurant. Et il n’était pas du genre à refuser un coup gratuit, en plus. D’ailleurs, d’après son médecin, c’est pas pour rien qu’il a choppé la goutte : il y avait trop de bistrots sur son chemin, c’était pas vivable. »

Et cette maudite radio qui ne fait rien qu’à se taire quand on voudrait qu’elle déblatère.

« Tu prends ce type, là-bas (il indique un sans-abri qui mendie à la sortie d’un bar). Demyan, je crois. C’est un ancien de la StatiCom ou de la ProbaSov, j’ai jamais su comment ça s’appelait leur truc. C’était un fonctionnaire, ce gars-là, un statisticien qui faisait des calculs sur les objectifs du Plan. Une référence dans son domaine. Et puis bon, tu sais ce qu’il s’est passé : quand ils ont gelé le paiement des salaires des fonctionnaires, c’est devenu tendu pour un paquet de monde. Demyan, il s’est vite retrouvé à la rue, la faute à pas de chance. Sauf que les probabilités, c’est une obsession chez lui. Même en faisant la manche, il s’est mis à quantifier ses chances. Du genre, s’il tient la porte ouverte à l’entrée du métro, y’a une personne sur onze qui lui dira merci. Sur ces gens-là, y’en un sur quatorze qui le regardera dans les yeux en prononçant le mot.



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