Sherlock Holmes et les Démons Marins du Sussex by James Lovegrove

Auteur:James Lovegrove [Lovegrove, James]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fantastique, Horreur, Polar
Éditeur: Bragelonne
Publié: 2020-04-08T16:00:00+00:00

Le soir même, nous étions de retour à Newford. Cette fois, cependant, nous n’y étions pas pour enquêter, mais pour monter la garde.

Alors que le soleil se couchait, Holmes longea la plage en quête d’un bon poste d’observation. À l’endroit précis où finissaient de s’essouffler les bâtiments du côté est du village se dressait un petit promontoire, doigt de craie nue qui empiétait sur la mer, simple appendice des falaises qui s’élevaient au-delà. L’arête du rocher, haut de trois mètres, était juste assez large pour que l’on y tînt à deux, allongés côte à côte. Nous avions vue sur l’ensemble de la plage, jusqu’au port qui était tout au bout, et ce sans être visibles par quiconque depuis le niveau du sol.

Nous nous installâmes en prévision d’une longue attente. Holmes m’avait averti que notre guet pourrait durer jusqu’à l’aube, et même s’avérer vain ; en effet, en l’absence de brume, les démons marins ne se montreraient probablement pas. Afin de ne pas tomber à court de forces, j’avais pris un solide dîner – deux assiettes de ragoût de mouton et de boulettes –, et emporté une flasque de brandy pour me réchauffer et me fluidifier les sangs. J’avais aussi avec moi mon fidèle Webley. Holmes aussi était armé, fait suffisamment rare pour souligner la gravité de la situation.

Le soleil s’enfonça sous l’horizon. Les mouettes piaillèrent comme pour pleurer son trépas, puis gagnèrent toutes leurs nids. Aux fenêtres de Newford s’allumèrent des lumières vacillantes, fragiles comme des étincelles. Le ciel s’empourpra et s’assombrit. La lune se leva, rictus aux lèvres.

Puis vint la brume. Elle s’amassa sur la mer, s’épaissit à une vitesse à peine perceptible. Le silence s’installa. Le bruit des vagues se fit si léger qu’il en devint presque indiscernable. La surface, quant à elle, se fit lisse comme une retenue de moulin. Tout était feutré ; le monde paraissait retenir son souffle.

Une heure passa, puis une autre. Dans cette étrange immobilité nocturne, le temps semblait surnaturellement lent. La brume s’avançait vers nous en posant ses tentacules tendus sur la terre ferme, à la manière de quelque céphalopode spectral qui tâtonnerait avant de décider de son mouvement suivant. Progressivement, le voile envahit la plage, puis commença à s’insinuer dans les rues de Newford. Les lumières de la ville perdirent en force ; des halos diaphanes fleurirent autour des lampadaires et des fenêtres.

Mes nerfs se tendirent. La lune, presque pleine, nous éclairait assez pour nous permettre de voir une grande partie de la plage, mais sa lueur avait quelque chose d’insolite. Elle colorait la scène de teintes uniformes, argentées, qui lui donnaient des allures de gravure en mezzo-tinto. Une impression d’irréel se répandit dans mes pensées, et se fit plus puissante, moins facile à ignorer, à mesure que s’écoulaient les minutes gluantes. J’avais de plus en plus le sentiment d’assister à une représentation cinématographique ; d’être spectateur au lieu de participer activement au spectacle. Je n’étais pas totalement présent ; je regardais à travers les yeux d’un autre.

Étouffé par la brume, le tintement de l’horloge de l’église compta les heures : 10 heures, 11 heures, minuit.

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