Seuls by Mauvignier Laurent

Auteur:Mauvignier, Laurent [Mauvignier, Laurent]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Minuit (Les Editions de)
Publié: 2004-01-14T23:00:00+00:00

Là, à ce moment-là, j’aurais dû dire calmement, Pauline, il faut que vous m’écoutiez et que je vous raconte tout, depuis le début, ce que ça a été, ce vertige de le voir venir en larmes, si bouleversé, chez moi, chez lui. J’aurais dû commencer par expliquer. Mais j’ai redit que c’était impossible qu’il soit là le jour du déménagement, que moi je ne saurais pas avoir les mots justes pour rapporter comme lui les raisons. Alors je voulais qu’elle continue, qu’elle parle. Je lui disais de raconter, qu’il fallait qu’elle me dise comment après les choses s’étaient passées, que ça m’aiderait aussi à trouver les mots et à sortir de ce que j’avais entendu de lui, pour lui restituer à elle. Elle s’est levée, elle a pris son paquet de cigarettes, un paquet mou qu’elle a palpé comme pour chercher son briquet – on devinait les cigarettes au-dedans, des brunes qui roulaient sous le mouvement que Pauline donnait à ses doigts, de plus en plus rapidement jusqu’à ce qu’elle pose le paquet sur le radiateur, au-dessous de la fenêtre, avant de regarder dehors. Et puis elle a dit, j’ai déménagé mes affaires toute seule. Je me suis débrouillée toute seule et le lendemain je suis retournée à l’appartement de Tony.

Il était sur le canapé-lit et regardait la télévision. Il y avait les voix de la télévision dans le noir de l’appartement. Tony était allongé, il n’a pas tourné la tête vers Pauline lorsqu’elle est entrée. Elle a vu que ses cheveux étaient coupés presque à ras et n’a rien dit de la dureté que son visage avait. Il faisait froid dehors. Elle a posé son sac dans l’entrée et elle est restée debout sans enlever son manteau. Il a fallu que les yeux s’habituent à l’obscurité et son corps à la chaleur de l’appartement. Elle a hésité, elle a dit bonjour et lui, il n’a pas répondu. Et alors elle aurait voulu qu’allongé devant la télévision il se soit endormi depuis déjà longtemps, qu’il se soit seulement endormi et qu’elle puisse le réveiller en sifflotant ou en ouvrant les rideaux. Mais non. Elle a vu sa main qui caressait le chat, puisque le chat était à côté de lui et que Tony, lentement, calmement, sans regarder son geste, le caressait.

Elle aurait voulu qu’il se retourne vers elle et qu’il dise j’ai oublié, ne m’en veux pas, je n’ai pas pu, elle aurait voulu qu’il dise n’importe quoi mais il n’a rien dit et il n’attendait rien, il était là et aussi bien il aurait pu y être depuis toujours ; il serait resté comme ça, avec sa main lente à caresser le chat. Elle entendait la télévision, le chat qui ronronnait et elle percevait le souffle lent et calme de Tony. Et puis, elle a bougé – pas tout de suite, d’abord elle a attendu, elle est restée sans savoir ce qu’il fallait faire, comme si son corps aussi allait devoir rester figé, combien de temps, ici, l’hébétude et

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