Sauver Ispahan by Jean-Christophe Rufin

Sauver Ispahan by Jean-Christophe Rufin

Auteur:Jean-Christophe Rufin [Rufin, Jean-Christophe]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Sauver Ispahan
Publié: 2012-04-28T06:58:18+00:00


CHAPITRE 27

Un rideau de collines dénudées, disposées en fer à cheval, entourait Ispahan au nord-ouest, à une demi-heure de marche de la ville. Les habitants, de leur propre initiative ou conduits par on ne sait qui, prirent la direction de ces hauteurs et installèrent des campements de fortune sur leurs pentes. L’air restait chaud dans la journée et gardait une tiédeur la nuit, ce qui parut providentiel tant il était difficile de se procurer sur ces sols ravinés de quoi nourrir des feux. Il fallut attendre le second soir que des charrois de bois fussent envoyés des jardins irrigués en contrebas, où l’on avait ordonné d’abattre les haies et jusqu’aux arbres fruitiers pour en consumer les troncs.

L’aube du huitième jour parut sans que le soleil eût été délivré de sa molle captivité. Sa lumière laiteuse semblait venir de tout le ciel et c’était à peine si l’on distinguait un emplacement plus aveuglant que le reste, où l’on pouvait supposer que l’astre se tenait dissimulé. Saba avait choisi pour leur campement un carré de terre à mi-pente. Il n’était pas tout à fait confortable car le sol y était irrégulier et semé de pierres vives. Il avait cependant la commodité d’être sur le chemin des attelages qui apportaient l’eau, le bois et les fruits. Surtout, de cet endroit surélevé, s’offrait une large vue sur Ispahan en général et sur leur maison en particulier, dont on apercevait les toits au milieu des branches dénudées du jardin.

La journée passa rapidement, remplie des mille nécessités que découvrent des sédentaires rejetés par force à la vie nomade. Françoise souffrait de son bras, qu’Alix et Saba avaient immobilisé le long de son corps en déchirant une chemise en bandes et en l’en emmaillotant. Vers quatre heures, leur pâle feu de camp vint finalement à bout de la cuisson d’une marmite de légumes et de pain dur qu’elles avaient emportés. Elles partagèrent cet unique repas du jour avec les serviteurs. À cinq heures, dans un pesant silence, le même crépuscule de cinabre renouvela dans tout le ciel son mystérieux et angoissant sacrifice. Une habitude s’était maintenant installée chez les Persans, qui leur faisait regarder comme normale cette singulière tragédie céleste. Au contraire, Saba, Alix et Françoise, qui n’avaient pas d’abord été excessivement frappées par ces curiosités de la nature, en éprouvèrent ce soir-là une frayeur sans précédent. À leurs pieds, Ispahan déserte, sans une lumière, sans un feu, subissait douloureusement les ardeurs du ciel qui rosissaient les minarets, enflammaient la muraille ocre des remparts et faisaient crépiter de lumière les coupoles d’émail vert des mosquées. Quelle nouvelle page du Livre Saint ce peuple en exode au seuil de ses maisons était-il en train d’écrire ? Ses prophètes l’avaient convoqué au terrifiant rendez-vous du châtiment. Mais d’où viendrait le coup ? Du ciel, qui pour l’heure retenait encore son feu mais n’aurait peut-être pas longtemps cette patience ? De la terre irritée par le long prurit de péché que les hommes lui avait fait subir et dont les



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