Sauve-toi, la vie t’appelle by Cyrulnik Boris

Sauve-toi, la vie t’appelle by Cyrulnik Boris

Auteur:Cyrulnik, Boris, [Cyrulnik, Boris,]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Psychanalyse, France
Éditeur: Epub commercial
Publié: 2012-12-22T23:00:00+00:00


Le droit de parler

Pendant la guerre, on fait secret pour ne pas mourir. Après la guerre, on continue de se taire pour ne partager avec les autres que ce qu’ils sont capables d’entendre. Elle est curieuse cette culture qui reproche aux blessés de ne pas avoir parlé, alors que c’est elle qui les a fait taire.

Quand j’inventais des scénarios d’Indiens qui feintaient l’armée des cow-boys, j’avais remarqué, parmi mes spectateurs, un instituteur intéressé qui se tenait au premier rang, attentif et amusé par les péripéties du scénario. Je voyais bien qu’à la fin de la récré-spectacle il commentait mes mises en scène avec ses collègues.

Un jour, en arrivant à l’école, je découvre que j’ai complètement oublié d’apprendre ma leçon. Je fonce m’excuser auprès de l’institutrice, en lui disant que je n’avais pas eu le temps de l’apprendre, parce que j’avais joué toute la journée avec Émile. Éclat de rire de la salle, réponse impartiale de l’enseignante qui dit que son stylo pointé au hasard sur la feuille de présence désignera l’élève à interroger. Pendant la récré, pas question de renoncer à la mise en scène que j’avais programmée. Mes petits comédiens attendaient, ainsi que l’enseignant, spectateur du premier rang.

Par bonheur, la salle de classe était au deuxième étage et la foule des élèves montait lentement. J’ai donc eu le temps d’apprendre la leçon. Le stylo de l’institutrice m’a désigné par hasard mais, comme je venais de lire la récitation, j’ai obtenu un dix sur dix. « Je croyais que tu n’avais pas appris ta leçon », m’a-t-elle dit. « Je l’ai apprise en montant les escaliers », ai-je répondu. J’ai remarqué le haussement de ses sourcils et son hochement de tête admiratif.

Quelque temps après, le directeur et cette enseignante m’ont appelé pour me dire que quelqu’un m’accompagnerait le jour de l’examen d’entrée au lycée.

Nous fûmes trois reçus. Les autres enfants continueraient jusqu’au certificat d’études et, tout de suite après, iraient travailler dans les champs, à l’usine ou en apprentissage, dès l’âge de 13 ans.

Il y a dans ma mémoire un enchaînement à peine visible d’événements à peine dits qui pourtant, j’en suis persuadé, m’ont permis d’accéder au lycée Jacques-Decour. J’étais plutôt bon élève, metteur en scène prolifique, je parlais facilement, sauf17…

Si j’avais été un enfant sage à l’école, vivant dans une famille stable, l’institutrice n’aurait pas eu à m’accompagner le jour de l’examen. J’aurais suivi le courant qui m’aurait orienté vers le lycée ou vers l’usine. Un enfant sage est transparent, il se laisse emporter. « Mon » trauma, même non dit, m’avait personnalisé ! Par bonheur, cette blessure identitaire, qui m’empêchait de savoir qui j’étais, avait provoqué un surinvestissement imaginaire où je me construisais. Je ne savais pas ce que c’était qu’être juif. Est-ce visible ? Est-ce invisible ? Je ne savais pas de qui j’étais né. Logiquement, mes parents étaient juifs puisqu’ils ont disparu à Auschwitz. Quelle inquiétante preuve ! Comment fait-on pour être juif ?

Dans une telle histoire, l’affirmation de soi est angoissante puisqu’il s’agit de… déclarer



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