Sauve-moi comme tu m'aimes by Anique Poitras

Auteur:Anique Poitras [Poitras, Anique]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782764424087
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2013-03-28T00:00:00+00:00

Je me réveille en sursaut. Il est 16 heures 42. Juste le temps de me rendre au club vidéo.

Soixante-sept

Je reviens à la maison crevée mais contente de ma soirée. J’ai l’impression d’avoir vécu toute une vie depuis mon réveil.

— Papa?

— Quoi, Mandoline?

— Qu’est-ce que tu as ?

— Je suis crevé, Mandoline.

— Mais quand on est crevé, ça veut pas dire qu’on est percé, hein, papa?

Un petit bonheur, égaré dans les douleurs gelées, tout à coup surgit dans une étonnante clarté. Ma mémoire est une boîte à surprises.

J’allume ma lampe de chevet et me laisse tomber dans mon lit. Il y a un bout de papier sur mon oreiller. Claire a-t-elle décidé de semer de nouveau des pensées positives sur ma route?

C’est écrit : Nicolas a téléphoné.

Nicolas a appelé ! Minuit treize. Trop tard pour le rappeler. Mais comment je vais faire pour patienter jusqu’à demain ? Nicolas-a-appelé!

Il m’a peut-être envoyé un courriel. Je m’élance dans le bureau, allume l’ordinateur... Est-ce que j’ai la berlue ? J’ai l’impression d’entendre Claire pleurer dans sa chambre. Je m’aventure dans le corridor.

Claire pleure pour de vrai. Doucement mais pour de vrai.

Il n’y a pas de lumière. Je frappe doucement à sa porte en disant tout bas : «C’est moi. »

— As-tu vu ton message? me demande-t-elle.

— Oui. Est-ce que je peux entrer?

Elle répond:

— Si tu veux.

J’ouvre la porte. Elle allume.

— Claire, qu’est-ce que tu as?

— Ça s’appelle une peine d’amour.

Une peine d’amour? J’ignorais que Claire était amoureuse.

— Tu sais, Mandoline, la Terre ne s’est pas arrêtée de tourner parce que tu t’es remise à boire.

Je n’ai rien vu. Rien, rien.

Mais je revois Nicolas en robe de chambre et sa gazelle bondissante. Je sais bien que la Terre ne s’est pas arrêtée de tourner... en mon absence. Je reviens de loin, c’est tout.

Je voudrais consoler Claire mais je ne suis pas capable. Trop vidée. Je n’ai même pas d’énergie pour lui raconter ce qui s’est passé aujourd’hui. Je dis seulement :

— Je reviens de travailler.

— Je suis contente que tu te sois trouvé un emploi. Et je te félicite pour ton bulletin. Tu t’es surpassée. J’ai lu aussi ton portrait dans Savoir et Être. Il peut donner de l’espoir, tu sais.

Je pense : « La fille a bu comme un trou... mais l’espoir se faufile à travers le trou. »

Claire s’adosse contre sa tête de lit.

— Autre chose : il te va très bien, ce pantalon, ajoute-t-elle.

— Ah ! Mon dieu ! J’ai complètement oublié ! Merci !

Que je me sens cheap!

— Il est très tard et j’ai une grosse journée demain...

Je lui dis :

— OK, bonne nuit.

Je quitte sa chambre, referme derrière moi et retourne dans le bureau.

Je me branche sur Internet. Je n’ai reçu qu’un seul courriel. Nicolas ne m’a pas écrit. Mais Jennifer, oui.

Mandoline,

Je ne sais pas si je tiendrai le coup, mais si je ne suis pas six pieds sous terre, c’est grâce à toi.

Merci,

Jennifer

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