Saigne Sur Mer - Serge Quadruppani by Le Poulpe

Auteur:Le Poulpe [Poulpe, Le]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782842190019
Google: 07bVPQAACAAJ
Amazon: 2842190017
Publié: 1995-08-14T22:00:00+00:00

4

Après avoir vérifié dans l’ascenseur que l’enveloppe contenait les photos et les négatifs, Gabriel avait beaucoup réfléchi en peu de temps et quand il se retrouva sur le trottoir, face au flot de voitures, il était arrivé à une conclusion qui s’imposa avec la force de l’évidence : Camille Bianchini était en danger.

Qui a jamais vu la rate d’un poulpe ? Or, c’est bel et bien comme un dératé que courut le Poulpe, ce qui lui permit d’attraper la navette de 18 h 50 pour Toulon. À 19 h 15, il débouchait au trot place Puget. Un store baissé derrière la vitrine empêchait de voir ce qui se passait à l’intérieur de l’agence mais de la lumière filtrait. Gabriel essaya de tourner la poignée qui résista. Elle était d’un modèle rond, avec verrou incorporé. Il jeta un regard alentour. Personne ne prêtait attention à lui. Le Poulpe vivait à l’hôtel et pourtant, il avait toujours ses clés sur lui. Dans le trousseau, il en essaya plusieurs, minces et usées, avant que la poignée cède enfin.

Doucement, il poussa la porte. Seule l’arrière-boutique était éclairée. Au fond de la pièce, Camille Bianchini prenait quelque chose dans une armoire métallique. Un homme approchait dans son dos sans bruit, un homme que Gabriel reconnut aussitôt pour l’avoir eu longuement dans l’objectif de son appareil : c’était l’un des partenaires d’Alice Gutteriez. Mais cette fois, ses gestes n’avaient pas grand-chose à voir avec le Kama Sutra.

Tandis qu’il approchait de Camille, sa main gantée sortait d’une poche et se tendait dans la direction du cou de la jeune femme. Gabriel agrippa le poignet de l’homme au moment où il effleurait l’épaule de Camille.

Deux secondes plus tard, l’homme hurlait, immobilisé par une clé au bras :

— Ça va pas, non ? Lâchez-moi !

— Arrête, Gabriel ! cria Camille en découvrant la scène. C’est un ami !

— Il allait t’étrangler ! clama le Poulpe.

— Mais il est dingue, ce type ! dit l’homme. Je lui enlevais un cheveu qu’elle avait sur l’épaule !

Au bout de son doigt ganté, le cheveu blond très pâle brillait dans la lumière de la lampe halogène. Gabriel relâcha son étreinte.

— C’est M. Garcia, dit Camille, comme si ça expliquait quelque chose.

Gabriel enregistra le nom de l’homme qui, le matin même, avait surveillé Camille, avant de venir discuter avec elle, puis de s’en aller sur une moto conduite par une femme. M. Garcia était aussi l’homme qu’il avait vu un peu plus tard sortir d’une piscine et ramper pour embrasser Alice Gutteriez sur les lèvres tandis qu’un autre la baisait sur la bouche, puis dans.

— Désolé, dit Gabriel, et comme il n’avait pas l’air, il répéta, en essayant d’y mettre le ton, cette fois : « désolé, vraiment. »

C’était la première fois qu’il voyait ce type de près, et son visage joufflu, ses grosses lèvres, ses cheveux gominés avaient beau lui répugner autant que les magouilles pas claires dans lesquelles il devait barboter, le vieux pervers polymorphe qu’était le Poulpe était troublé par les images aperçues un peu plus tôt.

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