Rue des Brasseurs by Denis Riguelle

Rue des Brasseurs by Denis Riguelle

Auteur:Denis Riguelle
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Weyrich
Publié: 2014-11-15T00:00:00+00:00


18

Antoine veut lui parler. La veille, la voix au téléphone était extrêmement posée. Point d’ironie. Pas une once de dérision. Aucune trace de narquois dans le timbre. Quant au sujet de la rencontre, Barbot n’a aucun indice, son fils ayant éludé la réponse – on verrait bien, avait-on nécessairement besoin d’un prétexte pour se parler, il avait un rendez-vous près de chez lui le lendemain.

Aujourd’hui, le fait de vivre les stores clos pèse à Barbot. Le soleil d’automne bas lui rappelle son enfance en Ardenne, appelle à la nostalgie. C’est en termes de distance que les souvenirs remontent en lui : deux kilomètres à parcourir matin et soir pour se rendre à l’école – classe unique de la première à la sixième, instituteur trismégiste, mélange vivant d’enfants avec des caractères parfois fort différents. Deux kilomètres de maisons éparses, de champs dont on ne perçoit pas la fin, d’une orée de bois qu’on rêve forêt mystérieuse. Deux kilomètres avec ce soleil bas de septembre qui enchante la marche, qui fait de la route vers l’école une promenade, qui fait que Françoise de sixième est accessible – partir tôt, se glisser dans la petite rue des Aubépines, à la sortie du village, juste avant la ferme des Mathot, celle qui se meurt, parce que le fils a trahi, est parti à la capitale, parce que la fille s’est mal fait engrosser, un artiste de passage, quelqu’un pas de chez nous, une sorte de bateleur, pis, un acteur, on s’était bien dit que jouer du théâtre dans une grange, cela porterait malheur ; voir arriver Françoise et sortir de la rue, alors qu’on quitte une cachette, détendu, comme si de rien n’était, justifier d’un prétexte : « Ma mère a voulu que je porte du beurre à la vieille Émilie » – et oser : « J’aime bien faire le chemin avec toi. »

Un cri dans la rue, presque un lamento – « Promets-moi de m’appeler ce soir ! » – le ramène dans son appartement au moment présent et conséquemment aux dix minutes de retard de son fils. Que lui veut-il ? Une nouvelle. Lui apprendre une nouvelle, il s’agit indubitablement de cela. Mais laquelle ? Quinze minutes de retard. L’esprit de Barbot essaie d’organiser les éléments, il les place et déplace dans toutes leurs combinaisons, comme avec les lettres au Scrabble, un jeu auquel il excellait avant l’arrivée de l’informatique, de tous ces gadgets – j’encode les lettres, tic tic tic tic, hop, une série de combinaisons s’affiche –, les mots qui apparaissent l’ébranlent : défroquer, femme, stupre. Antoine ne fait-il pas preuve d’une attitude de plus en plus distante vis-à-vis de sa vocation ? Soudain Madeleine, par-delà la tombe, du fond de son cercueil à l’emplacement F 66, tente une spectrale apparition, essaie de ses pauvres moyens de dénouer les liens de l’affreuse mort, d’entrouvrir ne fût-ce que d’un interstice la porte de l’au-delà, désireuse de dire à son mari : « Marc, mon Marc, celui que j’ai toujours aimé,



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