Rome, le temps, les choses by Jacques Gaillard

Rome, le temps, les choses by Jacques Gaillard

Auteur:Jacques Gaillard
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2015-06-01T00:00:00+00:00


"… QUELS TRANSPORTS IL DOIT EXCITER !”

La chose n’est pas officiellement reconnue, mais prenons le risque de l’affirmer : il existe une philosophie romaine – et non seulement des textes philosophiques en langue latine. Du moins, cette “philosophie en toge” a existé, disons, entre Scipion Emilien et les Flaviens, et marque son originalité – au-delà des divergences d’école – en donnant des couleurs romaines aux problématiques, aux modes d’expression, et même aux techniques de raisonnement. Un peu comme la “philosophie allemande”, et peut-être avec autant de lourdeur. Cela dit, il n’est jamais inutile de rappeler qu’on pratiqua sans doute la philosophie plus généreusement à Rome qu’en Grèce, et surtout différemment : malgré des débuts difficiles (car un Romain se méfie de tout ce qui est grec), l’appétit de méditation des Romains prit des allures boulimiques. Après les leaders de la République finissante, les empereurs se complaisent à s’entourer de philosophes ; les Antonins leur procureront même des chaires officielles, avec de gros émoluments et une enviable exemption d’impôts ; on se moque de leurs querelles, on cancane sur leurs mœurs, on ironise sur leur art de couper les cheveux en quatre – mais, partout dans l’Empire, la philosophie bénéficie d’une audience que ses fondateurs grecs n’auraient jamais pu imaginer. La fonction même de la philosophie s’en est trouvée profondément et durablement modifiée. On ne peut lire les philosophes grecs de l’époque impériale sans avoir en tête les réalités culturelles, les dimensions quasi cosmiques et même les inquiétudes de l’Empire. Et surtout, les Romains ne se contentent pas d’étudier la philosophie : ils s’en servent.

Avant d’acquérir une philosophie, les Romains avaient deux atouts qui, justement, sont utiles à qui veut philosopher : une méthode, et des étonnements. La méthode romaine, nous l’avons plus qu’entrevue dans les pages qui précèdent : elle consiste – si l’on veut faire court – à tracer des limites et à rechercher des exemples. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, cette façon de penser n’implique pas un blocage mental, et encore moins une vision volontairement réductrice du monde et de ses problèmes. Les Romains ne croient pas stupidement que le monde est simple : ils s’effarent au contraire de sa complexité, en se défiant de l’étrange pouvoir qu’a le langage de dire aussi bien le faux que le vrai, l’utile que l’inutile, bref, tout et son contraire. Ce qui n’apporte rien et complique tout. L’opposition entre les “mots” et les “actes” est banale, c’est un des lieux communs favoris de l’antique rhétorique, mais à Rome, elle est capitale : l’on y sent mieux qu’ailleurs – chose qui peut étonner – qu’il n’est pas de discours innocent, et que les mots, s’ils sont efficaces, se monnaient en actes. Et qu’à l’inverse, seuls les actes légitiment les mots. Admirer, puis imiter ces actes comme l’expression la plus pure des impératifs moraux, et le moyen le plus sûr d’atteindre la vertu, c’est vraiment s’étonner (qui en latin se dit admirari) ; au demeurant, l’Etant étonne plus que l’Etre – et c’est bien ce qui donne envie de penser.



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