Romain Kalbris by Hector Malot

Romain Kalbris by Hector Malot

Auteur:Hector Malot
Format: epub


X

Me voici donc saltimbanque, ou, pour parler avec moins de vanité, domestique des chevaux de la caravane de M. le comte de Lapolade.

Mon patron n’était point, comme on aurait le droit de le supposer, un comte de fantaisie ; il avait des parchemins parfaitement authentiques qu’il exhibait volontiers dans les grandes occasions et qui lui donnaient le droit de porter ce titre. Après une vie troublée par tous les vices et toutes les passions, il en était descendu là. Pour mettre le comble à sa dégradation, il avait, dans une heure suprême de détresse, épousé la grande femme qui m’avait si mal accueilli. Célèbre dans toutes les foires de l’Europe sous le nom de la forte Bordelaise, bien qu’elle fût auvergnate de naissance, elle avait dans sa jeunesse occupé la haute position de phénomène, c’est-à-dire de femme colosse. Une toile la représentait en robe rose, posant délicatement sur un tabouret sa jambe immense chaussée d’un bas blanc ; une autre la montrait en spencer de velours bleu, un fleuret à la main, ayant pour adversaire un brigadier de carabiniers moins grand qu’elle, avec cette inscription en lettres d’or : « À vous, monsieur le militaire. »

Elle avait, à ce métier, gagné une assez belle somme qui avait tenté de Lapolade. Celui-ci n’avait pour fortune que son talent d’aboyeur, mais ce talent était remarquable ; personne, dans la banque, n’était de sa force pour faire à la porte un boniment irrésistible ; sa réputation égalait celle de Mangin et de Turquetin. La forte Bordelaise et lui s’étaient associés, et ce beau couple avait acheté une ménagerie qui, pendant les premières années, avait rivalisé avec celle du célèbre Huguet de Massilia. Mais ce qui faisait la force de Lapolade faisait aussi sa faiblesse : sa bouche lui coûtait cher, il était ivrogne et gourmand.

Quelques animaux mal soignés, plus mal nourris, étaient morts, d’autres avaient été vendus ; et, au moment de mon entrée dans la caravane, elle ne se composait que d’un vieux lion, de deux hyènes, d’un serpent, d’un cheval savant, qui le jour traînait la voiture, et le soir disait quelle était la personne la plus bête de la société.

Au souper, je fis la connaissance du personnel humain : outre monsieur et madame de Lapolade, il se composait de Cabriole, le pitre, de la Bouillie, du second enfant que j’avais déjà vu et qu’on appelait Filasse, de deux Allemands, l’un jouant de la clarinette, Hermann, l’autre du tambour, Carolus ; enfin de l’illustre Diélette, qui était une petite fille de onze à douze ans, à l’apparence frêle et nerveuse, avec des grands yeux d’un bleu de pervenche.

Bien que simple domestique, je fus admis à la table de ces fameux personnages.

Le mot table n’est peut-être pas très exact pour désigner la chose sur laquelle le couvert était mis : c’était une longue et large caisse en bois blanc, qui occupait le milieu de la voiture ; elle servait à un triple usage ; dedans, on serrait les costumes ; dessus, à



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