Rivière Mékiskan by Lucie Lachapelle

Auteur:Lucie Lachapelle
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782892616767
Éditeur: Les Éditions XYZ
Publié: 2010-01-01T00:00:00+00:00

Alice a envie de rouler loin, très loin. Elle a envie de voir ses copains, de rigoler, de s’éclater. Si c’était possible, elle retournerait à Montréal ce soir.

Dans le rétroviseur, une camionnette s’approche à grande vitesse. Rapidement, elle la rejoint et la suit de près. Alice n’aime pas cela. «Il vaut mieux ne faire confiance à personne, se dit-elle. Même en plein milieu des bois, les humains sont pire que des bêtes!» Après quelques minutes, la camionnette la dépasse. Alice jette un coup d’œil. Des hommes. Des Blancs et des Amérindiens.

L’hôtel est presque vide. Jeannette, la mère des enfants, est assise en compagnie d’un gars, des bouteilles de bière devant eux. Alice a un haut-le-cœur.

En traversant la salle, elle remarque un Amérindien, assis seul à une table, qui regarde fixement devant lui. Puis elle sent, posés sur elle, les regards de deux gars, deux Amérindiens qui jouent au billard. Elle s’assoit au comptoir. Charlie s’approche.

— Qu’est-ce que tu bois? lui demande-t-il.

— Une bière, répond Alice. As-tu des chips? Au vinaigre.

Charlie revient avec la bière, le sac de chips. Des ordinaires.

— C’est tout ce qu’il reste, dit-il. J’ai su pour ton père. C’est triste. Ton oncle est ici. Hé! Willie!

Charlie indique d’un geste l’homme assis seul à une table. Willie, qui a entendu son nom, lève les yeux. Il est ivre. Alice détourne aussitôt la tête, boit une gorgée. «Qui a envie d’avoir une famille comme celle-là?» se dit-elle.

— Charlie! Une autre, dit l’un des deux joueurs de billard qui vient d’arriver à côté d’Alice.

Alice lui jette un œil. Grand, le teint foncé, les cheveux longs. Elle a l’impression de l’avoir déjà vu. Elle le trouve bien beau. Elle aimerait baiser avec lui, mais elle rejette aussitôt cette idée. Sa mère s’est fait avoir à l’époque, dans le même village, dans le même hôtel. L’histoire ne se répétera pas.

— Paraît qu’on est parents, toi pis moi, de loin, dit le beau gars à Alice.

— Ah oui?

Cela lui revient. C’est le gars qui était venu chercher les pêcheurs à la gare. Alice a envie de fumer. Charlie sert la bière.

— Un Export A, des légères, demande Alice à Charlie.

— Mon grand-père était l’arrière-petit-petit-cousin de ta grand-mère, quelque chose comme ça, dit le gars à Alice.

— C’est loin, ça.

Il lui tend la main.

— Jimmy.

Charlie revient avec les cigarettes. Alice paie.

— Connaissais-tu mon père? demande Alice.

— Non. Y a pas très longtemps que je suis dans le coin, répond Jimmy.

— Et qu’est-ce que tu fais dans le coin?

— Je travaille à la pourvoirie.

— Et qu’est-ce que tu fais à la pourvoirie?

— Je guide les pêcheurs sur le lac. Y a beaucoup de travail. C’est la grosse saison. C’est plein. Après, ça va être la chasse.

Jimmy s’arrête pour boire une gorgée de sa bière.

— Quand ils m’énervent, qu’ils disent des conneries, je leur parle pas. Parfois, je parle pas de la journée, ajoute Jimmy, pince-sans-rire.

Alice s’esclaffe. Elle imagine le gars qui ne dit rien, qui ne répond même pas quand on lui pose une question, la tête des pêcheurs, le malaise.

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