Rien n'est trop beau (French Edition) by JAFFE Rona

Auteur:JAFFE, Rona [JAFFE, Rona]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Editis
Publié: 2011-09-29T04:00:00+00:00

15

La fin de l’hiver est une mauvaise période pour les comédiens, à New York : toutes les pièces qui devaient être montées dans la saison l’ont été et les rares qui n’ont pas encore été représentées ont déjà été distribuées ; il est trop tôt encore pour les tournées et il ne reste aux comédiens sans emploi que la télévision et la radio. Gregg Adams était parmi les relativement chanceux. Elle trouvait assez de travail pour survivre et, bien que ce ne fût certes pas le succès, elle n’avait pas besoin de chercher un emploi de serveuse ou d’employée aux écritures, comme avaient été contraintes de le faire nombre de ses amies. Elle tenait un rôle d’adolescente dans une émission publicitaire qui passait une fois par semaine à la télévision, et elle touchait un chèque hebdomadaire. Elle avait aussi deux petits rôles dans une émission de radio matinale. Tout cela payait son loyer et sa grosse note de téléphone, et comme elle ne s’était jamais beaucoup passionnée pour la nourriture et que David Wilder Savage l’emmenait dîner quatre ou cinq fois par semaine, elle s’en tirait assez bien.

Cela faisait longtemps maintenant qu’elle connaissait David Wilder Savage et pourtant il demeurait encore mystérieux pour elle. Elle était persuadée qu’il l’aimait. Cependant, ils étaient parvenus dans leurs rapports à un statu quo dont elle souffrait et dont lui, par contre, semblait satisfait. Que pouvait-elle faire pour y apporter un changement ? Elle se souvenait d’un proverbe chinois – trop cynique peut-être – qui disait : « Il faut six ans pour se faire un ami et six minutes pour le perdre. » mais déplorait que personne, pas même les Chinois avec toute leur antique sagesse, n’eût conçu un précepte pour vous expliquer comment transformer un amant affectueux en soupirant incapable de vivre sans vous ? Tous les mois, quand elle découvrait qu’elle n’était pas enceinte, elle faisait une petite prière d’action de grâces intérieure mais, en même temps, et parce qu’elle se sentait hors de danger, elle éprouvait une pointe de déception. Peut-être une chose aussi importante amènerait-elle David à agir, une chose qui demanderait une décision immédiate, qui obligerait David à mesurer combien Gregg lui était précieuse.

Elle faisait, enfin, des rideaux pour la cuisine de David. Bien qu’elle sût à peine coudre et qu’elle n’eût jamais pris la peine de refaire un ourlet quand une petite épingle de sûreté pouvait y remédier, Gregg taillait péniblement des rideaux dans un tissu somptueux dont le prix aurait pu lui permettre de faire toutes ses courses en taxi pendant une semaine. Qui donc faisait encore ses rideaux de cuisine soi-même de nos jours ? Mais cela avait quelque chose de symbolique, cela faisait craquer en quelque sorte le vernis de Broadway, des cocktails et de la foire aux bons mots ; peut-être cela irait-il même jusqu’à faire craquer le vernis de l’homme qu’elle rêvait désespérément d’épouser. Elle avait terminé les rideaux un jour de mars, juste avant la générale de la nouvelle pièce de David en province.

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