Retour à Maison Haute by Brenda Jagger

Retour à Maison Haute by Brenda Jagger

Auteur:Brenda Jagger
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2013-03-12T00:00:00+00:00


17

De toutes les erreurs de sa courte vie, la dernière lui avait été fatale. À la place de Venetia, je n’aurais pas été abusée par Charles Héron, et je me serais accommodée des contraintes d’un mariage de convenance. À sa place, je n’aurais pas pris la fuite avec Robin Ashby et, l’eussé-je fait, je ne me serais pas si complètement laissé abattre. J’aurais plus vite remonté la pente grâce à mon instinct de survie. Venetia, elle, en était dépourvue. Moins encline à l’espoir, j’étais moins sujette aux désillusions. Moins entière, moins exigeante, j’acceptais mieux le compromis. Aussi je ne m’attendais pas, lorsque mon tour viendrait, à ce que l’on me pleurât avec une douleur aussi profonde que celle qu’éprouvèrent tant de gens ; à ce que tout le monde ressentît, comme moi-même, l’impression d’une perte irréparable.

Incapable, au début, de me faire à l’idée de sa disparition, j’en avais été distraite par les exigences terre à terre du deuil. Cela seul me permit, en cette venteuse matinée de mars, de me tenir avec les autres au bord de la tombe, et d’oublier ce que contenait le cercueil. J’avais refusé de la revoir sur son lit de mort, d’écouter les pieux mensonges qu’on me prodiguait : « Elle est si belle, si sereine, on dirait qu’elle dort… » Elle ne dormait pas, je le savais : elle était morte. Et je ne trouvais rien de beau ni de paisible dans la mort. Je supportai aussi avec une irritation croissante l’homélie bêtifiante du pasteur, qui semblait se réjouir du fait que « cet être trop bon pour notre vallée de larmes » fût parti vers « la béatitude d’un monde meilleur ».

Les obsèques constituèrent naturellement un événement considérable. Les usines Barforth fermèrent pour l’occasion, de sorte que six rangées de curieux se pressaient le long de Kirkgate jusqu’au parvis de l’église paroissiale afin de profiter du spectacle. L’élite de Cullingford arborait ses toilettes de deuil, les femmes de la famille disparaissaient sous leurs voiles. Attelées de chevaux noirs, les voitures étaient tendues de crêpe et la foule prenait un vif plaisir à les identifier au fur et à mesure de leur arrivée. Celle de tante Caroline, dont les portières armoriées s’ornaient d’une couronne ducale, obtint le plus franc succès.

L’on était venu de fort loin rendre un dernier hommage moins à Venetia, que nul ne connaissait ou presque, qu’à son mari, à son père et à son grand-père, sir Joël Barforth, dont le souvenir restait vivace. Sa veuve, lady Virginie, était présente ce jour-là et, pour la première fois depuis près d’un quart de siècle, se tenait entre ses deux fils. Tante Julia s’accrochait à l’autre bras de sir Blaise ; ma belle-mère, droite et pleine de dignité, se laissa subitement aller — spectacle dont je n’avais pas l’habitude — à un bref accès de faiblesse et s’appuya contre Nicolas, son mari. Le veuf affichait une affliction distinguée. Il était entouré de sa famille, tante Caroline qui ne savait pas trop quelle tête faire, Blanche qui pleurait sans fausse pudeur et sir Dominique, qui paraissait s’ennuyer affreusement.



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