Retour à Killybegs by Sorj Chalandon

Retour à Killybegs by Sorj Chalandon

Auteur:Sorj Chalandon [Chalandon, Sorj]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Bernard Grasset Paris
Publié: 2011-08-31T22:00:00+00:00


Nous n’allions pas au centre de rétention de Castlereagh. Le trajet pour l’interrogatoire était trop long. Je ne retournais pas non plus à Long Kesh. Ce n’était pas l’autoroute mais des chemins en lacet. Ma joue droite était écrasée sur le sol. Aucun projectile sur la carapace, ni brique ni motte de terre. Pas d’accélération brusque pour semer des nuées d’enfants hostiles. Nous étions en zone protestante.

Je suis descendu de la Land Rover à l’aveugle, le sac sur mon visage. Des mains me soutenaient, mais n’ordonnaient pas. Des voix d’hommes, de femmes. Une porte, une autre. Pas de grille, pas de verrou qui claque, aucune clef non plus, un couloir d’hommes libres. J’ai senti le son clos d’une petite pièce. La cellule m’avait enseigné le bruit de cet espace. Une chaise contre mes mollets. Un geste sur mon épaule. Une chaleur de radiateur. Je me suis assis.

Lorsqu’ils ont libéré mes poignets et enlevé la cagoule, j’ai gardé un instant les yeux mi-clos. Le néon était gênant. Sur les murs, une peinture écaillée d’hôpital, l’affiche du film Les Oiseaux, d’Alfred Hitchcock. La fenêtre était grillagée. Elle donnait sur des bâtiments inconnus. La pluie se pressait contre les vitres.

— Un thé ?

J’étais face à une large table et ils étaient trois. Aucun uniforme, des civils. J’ai eu un geste de recul. J’avais d’abord pensé à des loyalistes leur accent était anglais.

— Un café, peut-être ?

Celui qui parlait enlevait son anorak sans me quitter des yeux. Il était très roux, avec une moustache en broussaille, l’œil gauche enfoncé dans l’orbite. Le deuxième était très mince. Le troisième avait les cheveux blancs. Il regardait par la fenêtre. Il observait mon reflet dans la vitre. Nos regards se sont croisés.

— Pourquoi suis-je là ?

L’ennemi ne m’avait habitué ni à la chaise ni à la chaleur. Je savais comment protéger ma tête des coups, comment survivre à la prison, comment résister aux insultes et aux cris. Je savais contenir leur force, pas leur calme. Le maigre m’a tendu une tasse de thé. Il guettait ma réaction. J’ai bu, sans un regard pour la reine qui souriait sur la faïence bleue.

— Nous savons tout de toi. Maintenant, c’est à nous de te donner des informations.

L’homme à la fenêtre s’est retourné. Il s’est assis sur le rebord de la table.

— Moi, c’est Stephen Petrie, agent du MI-5, le contre-espionnage britannique.

Je me suis levé.

— Je ne veux rien savoir !

Il a souri.

— Assieds-toi, Tyrone, tout va bien.

Il a désigné le serveur de thé.

— Je te présente Willie Wallis, de la Special Branch.

L’autre a légèrement hoché la tête.

— Et puis Frank Congreve, officier de la Royal Ulster Constabulary.

Même geste poli du roux.

— Mais pour faire simple, tu pourras nous appeler « l’agent », « l’espion » et « le flic ». Ou le « RUC » si tu veux être courtois.

J’étais resté debout.

— Je n’ai aucune raison de vous connaître ou de vous appeler. Si vous n’avez rien à me reprocher, laissez-moi partir.

Je ne m’attendais pas à être aussi calme. Ils n’avaient pas peur de moi, je n’avais pas peur d’eux.



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