Rêves De Bunker Hill by John Fante

Rêves De Bunker Hill by John Fante

Auteur:John Fante [Fante, John]
La langue: fra
Format: epub
Publié: 2011-10-17T11:30:27+00:00


XIV

La perspective de nous retrouver le lendemain me faisait frémir. Il me semblait avoir une gueule de bois carabinée. Je voyais partout ses yeux humides dans un visage mou, j’entendais sans cesse les habillements de sa voix monocorde. Je savais pertinemment que je ne pourrais jamais travailler avec elle, ou bien qu’elle me rendrait fou. Le lendemain matin, je lui téléphonai vers dix heures, mais la ligne était bien sûr occupée. Elle était toujours occupée à onze heures, comme à midi et tout l’après-midi jusqu’au soir. Je finis par renoncer ; je m’assis devant ma machine à écrire et lui écrivis une lettre :

Chère Velda,

Je dois être honnête avec vous. Nous ne serons jamais en mesure de travailler ensemble. Je ne vous le reproche pas, car je crois que c’est ma faute. Je compte donc écrire le scénario seul et dès demain. Quand j’aurai terminé, je vous le soumettrai, et vous pourrez le corriger et l’améliorer comme bon vous semblera. J’espère que vous serez d’accord avec cette façon de procéder.

Salutations distinguées,

Arturo Bandini

Deux jours après, elle me téléphona.

« Êtes-vous bien certain de savoir ce que vous faites, Arturo ?

— Absolument.

— Fort bien. Dans ce cas, vous écrirez le premier jet et je m’occuperai de la mouture définitive. Téléphonez-moi si vous rencontrez le moindre problème.

— Je n’y manquerai pas. »

Je me mis immédiatement au travail, mais plus j’avançais dans la rédaction du scénario, moins il me plaisait. Je commençai un autre brouillon. Puis un autre. Puis une idée totalement inédite explosa dans mon esprit : une nouvelle histoire. Finis les gardiens de bestiaux et autres bergers ; je désirais quelque chose de plus conventionnel, composé à partir des fragments de films que je me rappelais avoir vus dans mon enfance. Cela s’annonçait magnifiquement. Les pages s’empilaient. Je m’amusais. Je m’excitais. En une seule séance, j’écrivis vingt pages.

Le lendemain, de nouveau l’état de grâce : vingt autres pages. Le soir, j’ai écrit jusqu’à une heure du matin : quinze pages supplémentaires. J’adorais ça. J’étais ravi. Quelle rapidité ! Quelle acuité ! Quels dialogues ! J’accouchais d’une œuvre vraiment exceptionnelle. Je ne pouvais échouer. Je m’imaginais en héros, en nouvelle vedette du cinéma. Et je poursuivis à bride abattue : je gravissais les canyons, dévalais les ravins, cavalcades effrénées, détonations des six coups, Indiens qui s’écroulent, sang dans la poussière, hurlements des femmes, maisons en feu, la menace du mal, le triomphe du bien, la victoire de l’amour. Bang bang bang, un frisson par minute, la plus fabuleuse histoire de western jamais écrite. Enfin, drogué au café, le ventre douloureux à cause des cigarettes, les yeux brûlants, le dos courbatu, j’achevai mon boulot. Fièrement, je pliai le manuscrit dans une grande enveloppe, que j’envoyai à Velda van der Zee. Puis je pris du bon temps et attendis, sachant parfaitement qu’elle ne pourrait changer le moindre mot, qu’elle tenait un véritable joyau entre ses mains.

Je passais mes journées sur Hollywood Boulevard, dans la librairie de Stanley Rose, dans les saloons du quartier ; je jouais au flipper, j’allais au cinéma.



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