Qu'était-ce ? by O'Brien Fitz James

Auteur:O'Brien, Fitz James [O'Brien, Fitz James]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Aventures, Science fiction, fantastique, Lang:fr
Publié: 2012-04-25T02:37:25+00:00

Le forgeur de merveilles

1. Golosh Street et ses habitants

Une petite ruelle (j’ai oublié son nom, ou, pour dire vrai, il me plaît de ne pas me le rappeler) part obliquement de Chatham Street, juste avant que cette impétueuse artère ne se précipite dans le Parc, puis bat brusquement en retraite et descend vers l’East River, comme si, dégoûtée par l’odeur des vieilles hardes quelle contient, elle avait décidé de se laver à grande eau. Néanmoins, il est évident qu’elle a contribué par cette excellente intention à parfaire la construction de la chaussée imaginaire mentionnée dans le vieil adage,{11} car elle reste toujours, dans toute la force du terme, une rue sale. Elle n’a jamais pu se débarrasser de cette tare de l’ordure hébraïque qu’elle a héritée de l’artère où elle prend naissance. Elle est couverte d’une boue grasse, comme si elle était sœur jumelle du ghetto de Rome.

J’aime une rue de taudis ; non pas que je sois naturellement malpropre (il n’y a pas une goutte de sang napolitain dans mes veines), mais je découvre en général un certain sédiment de philosophie dans ses ruisseaux. Une rue propre est affreusement prosaïque. La pensée ne trouve aucun aliment dans des trottoirs soigneusement balayés, des caniveaux stériles, des maisons banalement immaculées. Au contraire, lorsque je parcours une rue si longtemps abandonnée à elle-même qu’elle a fini par acquérir des caractéristiques nettement marquées, j’y trouve maint sujet de réflexion. Les fragments trempés de pluie qui gisent dans la poubelle ont eux-mêmes un sens : ils contiennent peut-être les supplications désespérées adressées par Tom, le commis du boulanger, à Amélia, la fille du mercier qui vend toujours à perte en raison du dernier incendie qui vient de ravager sa boutique. Peut-être est-ce Tom en personne qui passe devant moi avec son tablier blanc, et je regarde les fenêtres de la mercerie (qui ne montre aucune trace d’un incendie récent) dans l’espoir de voir Amélia agiter un mouchoir blanc… Ce morceau de peau d’orange sur le trottoir m’inspire d’autres pensées. Qui tombera en glissant dessus ? Qui, sinon la laborieuse mère de six enfants dont le plus jeune a neuf mois à peine, et qui tous ne subsistent que grâce à son travail ? Je la vois glisser et tomber ; je vois son pâle visage convulsé de souffrance, et les vains efforts qu’elle fait pour se relever ; la foule apitoyée qui se referme autour d’elle et la prive de l’air dont elle a besoin ; le jeune médecin tout anxieux qui s’est trouvé à passer par là ; son examen du membre brisé de la victime gémissante, son hochement de tête, la civière sur les épaules de quatre hommes, les portes de l’hôpital de New York qui s’ouvrent, la quête sur les lieux de l’accident… Je trouve encore matière à méditation en la personne de cet enfant de trois ans, couvert de haillons, qui porte un masque de crasse, et qui jette une brique à un autre enfant de trois ans, également couvert de haillons et portant, lui aussi, un masque de crasse.

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