Professeurs de désespoir by Huston Nancy

Professeurs de désespoir by Huston Nancy

Auteur:Huston, Nancy [Huston, Nancy]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai, Littérature, France / Canada
Éditeur: Jillerone - TAZ
Publié: 2004-12-07T23:00:00+00:00


INTERLUDE :

LES VALUATIONS GOLDBERG

Dans les écrits de Thomas Bernhard, un domaine est préservé de la haine dévastatrice : la musique.

Et plus que tout dans la musique, Jean-Sébastien Bach.

Et plus que tout dans Bach, les Variations Goldberg.

Et parmi les nombreuses interprétations de cette œuvre : celle de Glenn Gould, peut-être le pianiste le plus immatériel de tous les temps, aussi solitaire, misanthrope, apare, asexué et insomniaque qu’un vrai professeur de désespoir.

Dans le roman de Bernhard intitulé Le Naufragé, deux pianistes émérites, à la carrière musicale déjà bien lancée, le narrateur (sans nom) et un certain Wertheimer, se trouvent au Mozarteum de Salzbourg pour un stage avec Vladimir Horowitz ; par hasard, ils y entendent Glenn Gould interpréter les Variations Goldberg et, pour l’un comme pour l’autre, cette expérience est une sorte d’apogée-catastrophe. Après ce concert, ils abandonnent définitivement le piano. Wertheimer (“le sombreur”) vend son Bösendorfer aux enchères et le narrateur (“le philosophe”) donne son Steinway à une jeune fille de bonne famille. (Qui, dans l’optique bernhardienne, pourrait mieux incarner la médiocrité qu’une jeune fille de bonne famille qui prétend jouer du piano ?) Après ce sacrifice volontairement grotesque, qui lui fait bien plus mal que s’il avait brûlé l’instrument, le narrateur consacrera le reste de sa vie à essayer d’écrire un livre sur Gould… sans jamais y parvenir. Quant à Wertheimer, “anéanti” par la perfection du jeu de Gould, il finira par se pendre.

En somme, dit le roman, “quand nous rencontrons le meilleur, nous devons renoncer”.

La musique telle que la conçoit Bernhard est une chose immatérielle, sublime dans sa pureté désincarnée – préférée par Schopenhauer, aussi, aux autres formes d’expression artistique, car plus proche du pur vouloir. Vitalité invisible, impalpable, sans odeur, mouvement désincarné, impression insaisissable, frôlement vertigineux du silence, celui du cosmos et de la mort.

Bernhard n’est pas le seul de nos auteurs à valoriser grandement la musique. Les mélanomanes, c’est frappant, sont souvent mélomanes aussi. Kundera et Jelinek ont eu une formation musicale poussée et, un temps, ont songé à devenir eux-mêmes des interprètes professionnels. Beckett, s’il manifestait une étrange aversion pour Bach, jouait fort bien du piano et écoutait constamment les compositeurs du XIXe siècle. Quant à Cioran, sans être musicien lui-même, il vouait à la musique de Jean-Sébastien Bach le même culte que Bernhard. “Bach, écrit-il dans son cahier le 25 décembre 1968, mon compagnon le plus fidèle à travers les années.” Ou encore, le 12 juillet 1970 : “L’Art de la fugue. Quand j’entends Bach, je crois.” “Variations Goldberg, note-t-il le 24 juillet 1972. Après ça, il faut tirer l’échelle.”

Tirer l’échelle, Déesse Suzy, tu entends ça ? Écouter les Variations Goldberg et tirer l’échelle, vendre son piano, tirer sa révérence, sauter par la fenêtre… S’il avait su que sa musique produirait de tels effets, Jean-Sébastien Bach en eût été ahuri ! Lui-même n’entendait pas les choses de cette oreille ! Plongé dans la vie, il était – et jusqu’au cou. Vingt enfants, il a engendrés : sept avec sa première épouse et treize avec la



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