Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux? by Eric Marty

Pourquoi le XXe siècle a-t-il pris Sade au sérieux? by Eric Marty

Auteur:Eric Marty
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Le Seuil


Antigone est une image, et cette image est un mystère, jusqu’à elle inarticulable, une image fascinante dans son « éclat insupportable ». Ainsi, c’est Lacan lui-même qui, dans ce « nous » et ce « on », prend la place du sujet du désir, du désir de mort, du désir d’outrepasser la limite, celle d’une horreur fondamentale, sujet du désir en tant que ce désir est intimidé par la beauté : « ce qu’elle a qui nous retient et à la fois nous interdit, au sens où cela nous intimide239 ».

Que cette scène soit une scène sadienne ne fait aucun doute aux yeux de Lacan. Ainsi, même Créon devient un protagoniste sadien en ce qu’il ne représente nullement la loi kantienne (thèse de Hegel), mais incarne précisément le sujet d’un désir qui, comme chez Sade, « cherche à rompre la barrière240 ». Créon est habité par le fantasme de « seconde mort » puisqu’il veut tuer deux fois Polynice, le frère d’Antigone, en lui refusant toute sépulture241. On retrouve alors en Créon le parfait exemple du croisement entre la loi morale kantienne – ou du moins sa préfiguration sous laquelle Créon feint de s’abriter – et la jouissance sadienne.

L’image du Beau, loin d’être protectrice et d’être une résistance à l’agression, est donc très précisément une image sadienne, celle de « l’exposition émouvante de la victime », de « la beauté trop exposée, trop bien produite242 ». D’ailleurs, quand Lacan veut préciser sa pensée pour nommer le moment où Créon décrète le supplice d’Antigone, ce moment qu’il ne cesse de commenter, il ne trouve que la référence sadienne pour faire partager son analyse à l’auditoire du séminaire : « Je vous assure que dans Sade, c’est mis au septième ou huitième degré des épreuves des héros, sans doute faut-il cette référence pour que vous vous rendiez compte de la portée de la chose243. » Sade, ici, n’est pas, comme cela le sera en 1963 dans le « Kant avec Sade », la pâle copie de Sophocle – sa « grimace » –, Sade est – seul – celui qui permet de percevoir, dans Antigone, le beau à son juste niveau.

L’analogie Justine / Antigone suppose évidemment un transfert conceptuel fondamental. Ce transfert va nous faire passer du concept de « seconde mort » découvert, à tort, comme on l’a vu, chez Sade, à celui d’« entre-deux-morts » qui émerge de l’image d’Antigone, condamnée par Créon à être enterrée vive244.

Ce transfert est confus, puisque les deux notions semblent interchangeables, et il reste en grande partie non éclairci par Lacan. Ce qui identifie la seconde mort et l’entre-deux-morts, c’est que toutes deux mènent jusqu’à sa limite, l’accomplissement du désir pur, « le simple désir de mort comme tel245 », le désir dans son caractère radicalement destructif.

Chez Antigone, cet accès à la limite se situe dans le fait qu’avec elle la vie est confondue avec la mort, la mort empiétant sur la vie et la vie empiétant sur la mort : zone qui est donc définie comme effet du beau sur le désir246.



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