Passer par le Nord by Autissier Isabelle & Orsenna Erik

Passer par le Nord by Autissier Isabelle & Orsenna Erik

Auteur:Autissier, Isabelle & Orsenna, Erik
La langue: fra
Format: epub
Tags: Essai
Éditeur: Gallimard
Publié: 2016-07-15T00:00:00+00:00


IXDIOMÈDE ET DIOMÈDE

65° 47’ N ; 169° 01’ O

C’était un rêve et nous avions tout prévu : le voyage vers Nome, le petit coucou pour nous déposer au cap Wales et le bateau iñupiat qui nous y attendait, cap sur la Petite Diomède. Mais les jours ont passé à Nome sous une pluie battante et ininterrompue, entre la plage où les enfants continuaient à se baigner, la pizzeria la plus glauque de l’Ouest américain et l’aéroport qui distillait ses mauvaises nouvelles : impossible de voler. Le vent se fichait pas mal de nos rêves : nous n’irions pas à la Petite Diomède.

Regardez le détroit de Béring. Deux petits pavés, distants de 3 kilomètres, résument une des formes élaborées de l’absurdité géopolitique : la Grande Diomède, à l’ouest, est russe, la Petite Diomède, à l’est, est américaine. Lorsque le tsar en mal d’argent frais vendit l’Alaska aux Américains, il fut décidé que « la frontière passerait à équidistance des deux îles et se prolongerait vers le nord à l’infini jusqu’à ce qu’elle disparaisse complètement dans l’océan Arctique ». Une définition prouvant que l’on peut être diplomate et poète tout à la fois.

L’histoire des hommes et des Diomède remonte à la Béringie, il y a près de 15 000 ans. Quand la vaste plaine reliait les deux continents, ces deux « tuyas », résidus abrupts de volcans, ont forcément servi de repères aux migrants. Sans doute ont-ils monté leurs tentes de peaux à l’abri des hautes falaises qui constituaient une halte commode, une sorte de rendez-vous de chasse paléolithique. Les premières traces attestées de campement estival datent de 3 000 ans ; les Diomède étaient entre-temps devenues des îles à portée d’un honnête kayakiste.

Ces occupants y vécurent heureux, du moins on le suppose, chassant le phoque et la baleine. On ne sait trop quand certains décidèrent d’y installer définitivement leurs pénates. La géographie laisse penser que des commerçants d’avant notre ère avaient tout intérêt à investir ces îles, pivots d’échanges entre ces deux parties du monde qu’on n’appelait pas encore est et ouest. Et la vie continua sur la Grande comme sur la Petite Diomède, que rien ne séparait qu’un ridicule bras de mer. Huit mois durant, la banquise permettait de sympathiques visites entre cousins ; l’été, c’était l’affaire d’un coup de pagaie, à condition d’éviter les tempêtes. Pas un habitant ne s’avisa que Simon Dejnev les fit entrer dans la cartographie en 1648, pas plus que Béring ne le confirma officiellement en 1728. Par un manque notable d’imagination ou un sentiment religieux avéré, il les nomma Diomède. Ce qui permet de situer précisément cette découverte au 16 août, jour où l’on fête ce brave médecin décapité pour son trop fervent prosélytisme. Pour les Iñupiat, c’étaient de toute éternité Imaliq et Inaqliq, des sœurs jumelles. La séparation entre îles russe et américaine ne leur fit aucun effet, pas plus que l’arrivée d’un communisme dont ils devaient pratiquer depuis des lustres les vertus, à leur façon primitive. Mais tout a une fin, et leur singularité géographique jusque-là heureuse tourna au drame à partir des années 1940. Le rideau de fer y prit l’allure d’un rideau de glace.



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