Pari de civilisation by Abdelwahab Meddeb

Pari de civilisation by Abdelwahab Meddeb

Auteur:Abdelwahab Meddeb [Meddeb, Abdelwahab]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction
ISBN: 9782021178401
Éditeur: Seuil
Publié: 2009-08-19T22:00:00+00:00


Je voudrais clore ce chapitre sur deux remarques. La première consistera à proposer une nouvelle échappée hors de ce qui peut être perçu comme une énigme, la seconde tiendra dans une profession de foi qui découle naturellement de la thèse que j’essaie d’illustrer.

Nombre d’observateurs s’étonnent qu’une civilisation si brillante ait connu une interruption aussi brutale que définitive. J’ai répertorié dans La Maladie de l’islam88 un certain nombre de raisons que les historiens évoquent pour expliquer ce phénomène. J’ai rappelé aussi que, quelle que soit la pertinence des causes avancées, une part de l’énigme demeure ; elle appartiendrait à l’intervention de la Providence (Bossuet) ou à celle de l’Inconscient (Fernand Braudel) dans l’histoire. Le fait est là : l’Islam a mené pendant cinq siècles (750-1250) la civilisation vers une pointe jamais atteinte avant lui ; il vivra encore cinq siècles en puisant dans son acquis avant de se rendre compte, au début du XIXe siècle, que ladite civilisation a déménagé hors de sa demeure. Que s’est-il passé ? Voilà la bonne question que tout un chacun se pose avec Bernard Lewis, lequel n’apporte pas les réponses dont nous avons besoin pour surmonter la crise qui corrompt le principe civilisateur89.

À cette même question, je voudrais proposer la réponse qui m’est suggérée par un grand esprit arabe du IXe siècle, al-Jâhiz’, polygraphe rationaliste marqué par l’hellénisme, maître de l’ironie (à l’instar de Voltaire). Je m’arrête sur les pages qu’il consacre au manichéisme. Cette croyance, encore vivace à son époque et embrassée par des esprits distingués, était vouée à dépérir sinon à s’éteindre. Car, selon al-Jâhiz’, la littérature que ses adeptes proposaient n’était ni stimulante ni attractive. Elle ne comportait ni maximes édifiantes, ni sagesse, ni philosophie, ni dialectique sophistiquée, ni remarques pratiques sur les métiers et les arts, ni considérations politiques utiles. Or, toujours selon al-Jâhiz’, tout livre est inepte s’il n’aborde pas les questions de la survie ici-bas et s’il ne défend pas son système de croyance par les moyens de la raison ; tout être sensé s’en détournerait s’il constatait qu’il ne réclame de son fidèle qu’une foi aveugle90. Nous pouvons prolonger les propos d’al-Jâhiz’ en estimant que lorsque le symbolique et l’imaginaire se réduisent à une mythologie absurde composée de fables futiles, nous assistons à la défaite de la raison et à sa conséquence : la fin de la souveraineté. Dans le Bagdad où écrivait al-Jâhiz’, même un marin « cherchait la raison des choses » et savait que la marée était provoquée par l’attraction de la Lune et non par « la respiration d’un démon maritime », comme l’affirme la mythologie manichéenne91. Or, parmi les chercheurs qui faisaient avancer les sciences de l’époque, les documents ne révèlent pas un seul savant manichéen. En outre, le manichéisme contemporain d’al-Jâhiz’« se présentait non seulement comme une religion définitive inapte à toute évolution, mais aussi et surtout comme une science absolue et une culture universelle et encyclopédique qui embrasse toutes les branches du savoir92 ».

L’islam de la décadence se retrouvera précisément dans



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