Orthodoxie by Gilbert Keith Chesterton

Orthodoxie by Gilbert Keith Chesterton

Auteur:Gilbert Keith Chesterton
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Climats


Mais quand je lus les propos du même poète sur le paganisme (dans Atalante [9] notamment), j’en déduisis que le monde était, si possible, encore plus gris avant que le Galiléen n’eût soufflé dessus. Le poète soutenait en effet, dans l’abstrait, que la vie elle-même était noire comme les ténèbres. Et pourtant le christianisme l’avait en quelque sorte assombrie. L’homme qui accusait le christianisme de pessimisme était lui-même un pessimiste. Je me dis qu’il devait y avoir quelque chose qui n’allait pas. L’espace d’un instant, l’idée folle me traversa l’esprit que les meilleurs juges du rapport de la religion avec le bonheur n’étaient peut-être pas ceux qui, de leur propre aveu, ne connaissaient ni l’un ni l’autre.

On comprendra que je n’en ai pas hâtivement conclu que les accusations étaient fausses ou les accusateurs des imbéciles. J’en ai simplement déduit que le christianisme devait être encore plus étrange et encore plus nuisible qu’ils n’en avaient conscience. Si ces deux vices opposés se retrouvaient dans une même chose, elle ne pouvait être qu’assez bizarre. Il se peut qu’un homme soit trop gros à tel endroit et trop mince à tel autre, mais alors sa silhouette sera singulière. À ce stade de ma réflexion, je ne songeais qu’à la forme singulière de la religion chrétienne ; je n’en déduisais pas que l’esprit rationaliste pouvait avoir une forme singulière.

Voici un autre cas du même genre. Je sentais qu’on accusait sérieusement le christianisme en taxant tout ce qui est dit « chrétien » de timidité, de tempérament monacal et de manque de virilité, et notamment son attitude envers la résistance et la lutte. Les grands sceptiques du xixe siècle étaient pour la plupart virils. Bradlaugh d’une manière expansive, Huxley d’une manière réticente, étaient résolument des hommes. Auprès d’eux, les avocats du christianisme pouvaient en effet paraître assez faibles et trop indulgents. Le paradoxe de l’Évangile qui invite à tendre l’autre joue, le fait que les prêtres ne se battaient jamais, cent autres choses rendaient plausible l’accusation que l’on faisait au christianisme de vouloir créer un homme qui ressemblait trop à un mouton. Cette accusation, je l’ai lue et je l’ai crue, et si je n’avais rien lu de différent, je n’aurais pas cessé d’y croire. Mais j’ai lu quelque chose de fort différent. J’ai tourné la page de mon manuel agnostique et mon cerveau a été renversé. Je découvrais que je devais haïr le christianisme non parce qu’il luttait trop peu, mais parce qu’il luttait beaucoup trop. Le christianisme, semblait-il, engendrait toutes les guerres. Le christianisme avait déversé sur la terre des flots de sang. J’étais furieux contre le chrétien parce qu’il ne se mettait jamais en colère. Et l’on me demandait à présent d’être furieux contre lui parce que sa colère avait été la chose la plus démesurée et la plus horrible de l’histoire humaine, parce qu’elle avait inondé la terre de sang et l’avait enfumée jusqu’au soleil. Ceux-là mêmes qui reprochaient au christianisme la douceur et la non-violence des monastères lui reprochaient également la violence et l’intrépidité des croisades.



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