Orléans by Yann Moix

Orléans by Yann Moix

Auteur:Yann Moix [Moix, Yann]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782246820529
Google: 25CpDwAAQBAJ
Amazon: B07WDYJ5J8
Éditeur: Grasset
Publié: 2019-08-20T22:00:00+00:00


Les années, les mois, les semaines étaient des abstractions : rien ne bougeait dans les jours ; tout recommençait chaque matin, le soir installait la nuit au même endroit, dans les mêmes coruscations mourantes et dorées, avec un pincement de cœur qui provenait des murmures de la mort. J’enfilais la même blouse et mes camarades revenaient incessamment en classe, toujours les mêmes, identiquement assis, accompagnés des sempiternels mêmes parents qui ne changeaient pas, sauf parfois de vêtements. Le temps, qui pourtant ne sait qu’abîmer, ne perforait rien, n’usait personne, ne ravageait nul visage ; quand bien même eussé-je reconnu qu’il existât, son écoulement semblait si lent qu’il me faudrait mille vies pour vieillir un peu. Grandir, prendre des rides, s’affaisser doucement constituait le problème des autres ; et ces autres n’avaient qu’à faire comme moi : ne pas croire à la croissance des os, aux dates qui meurent, aux saisons qui se succèdent. Avancer n’était pas mon affaire. Je ne faisais que du surplace ; les jours s’empilaient verticalement, posés sur une date fixe qui ne faisait que changer de nom comme on change de pantalon. Dans cette harmonie figée, si rassurante, les conséquences n’existaient jamais : il suffisait d’effacer le lendemain les bévues de la veille, ainsi qu’au tableau noir l’éponge permet de superposer sur l’ancien motif des traits nouveaux sans qu’il soit besoin d’allonger infiniment le tableau.

Je me conçus dès lors comme éternel ; sans souci de disparaître, j’allais pouvoir connaître infiniment chaque camarade, prendre des millions de goûters dans toutes les familles.

Mme Fournier disposait des lettres aimantées au tableau noir ; à chacune correspondait une couleur. Ce système me perturba. La lettre a, bleue, gâcha durablement mes ciels : je regardais désormais les oiseaux voler au sein de cette lettre, une des héroïnes du si laid mot de « chômage », et le ciel perdit de sa magie, de sa profondeur. Tout ce bleu, où je nageais, où je planais, où je rêvais ; ce bleu derrière lequel les étoiles se cachaient, où le soleil règnait, ce bleu qui était la seule définition possible de Dieu, voilà qu’il s’associait à une lettre qui ne lui seyait point. Je détestais, de même, que le a fût la première lettre de l’alphabet. Commencer par lui, c’était partir sur de mauvaises bases : le a constituait un être fermé, replié sur lui-même, qui ne se ressemblait en rien dès lors qu’il accédait au statut de majuscule, où sa prétention éclatait. Sa manière de poser, en tour Eiffel, son anguleuse hauteur, méprisante, annonçait que l’apprentissage de la lecture se ferait sous son magistère et dépendait de son bon vouloir. Je n’aimais pas, non plus, le mouvement de glotte qui correspondait à la prononciation du a ; bref, je l’avais pris en grippe et m’avisai que la bonne lettre, pour entrer en matière, était le z.

Commencer par lui, le z, eût immédiatement rendu à l’univers sa dimension comique : un monde zézayé, où le zèbre eût trôné en totem. Les hommes, hélas, n’aiment rien tant que la modération, la tempérance, la gravité, le sérieux.



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