Onze ans by Jean-Baptiste Aubert

Auteur:Jean-Baptiste Aubert
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782366261073
Éditeur: Christophe Lucquin Éditeur
Publié: 2019-03-05T00:00:00+00:00

Je ne pensais par me retrouver ici aujourd’hui. Ma pendaison a raté. Il faut que je raconte tout ça. Samedi, je suis donc allé dans le bois après le repas de midi. Le poulet-frites était meilleur que d’habitude. Je me suis dit que ça allait me manquer. Avant de sortir, j’ai rejoint Inès dans sa chambre. On a joué ensemble. Pour une fois, on est restés très silencieux. J’étais très détendu et on a même un peu parlé de sujets qu’on aborde rarement. On a parlé du bonheur, ou plutôt, je crois que c’est moi qui en ai parlé. Je lui ai demandé si elle était heureuse. Elle m’a dit qu’elle ne comprenait pas ma question, avant de dire : « Je ne sais pas. » J’ai senti mon ventre se nouer quand j’ai quitté sa chambre. Ma mère m’a vu sortir avec mon écharpe au cou en plein mois de juin. Elle n’a pas compris pourquoi et m’a presque disputé. Je lui ai quand même dit que j’allais faire un tour dans le bois. Au fond, je voulais qu’ils me trouvent vite une fois mort, je n’avais pas envie de rester toute la nuit pendu dans la forêt. J’ai dû chercher pendant une heure un arbre auquel je pourrais grimper. J’en ai trouvé un près d’un champ avec quelques vaches. J’y suis monté et je me suis assis sur une grosse branche à laquelle j’ai solidement attaché un bout de l’écharpe. J’ai fait un nœud coulant à l’autre bout, et j’y ai passé à mon cou. J’ai pensé à un tas de choses à ce moment-là. Des souvenirs me sont revenus en tête. J’ai surtout repensé à un pique-nique que nous avions fait il y a quelques années au bord d’un étang, un soir d’été. On avait tous joué au ballon avant de manger du taboulé et des merguez cuites au barbecue. Tout était parfait, comme si on formait une famille idéale. Mes parents riaient ensemble comme jamais et c’était comme si le monde autour de nous n’existait pas. C’était peut-être ça le bonheur. Je suis resté une minute immobile au-dessus du vide. Je n’étais pas très haut, il devait y avoir deux mètres, mais pour moi c’était la nuit, la fin. J’ai fermé les yeux, et sans trembler je me suis laissé tomber. Tout est allé très vite. J’ai senti l’écharpe se tendre et se serrer brutalement sur mon cou, mais en même temps j’ai entendu un déchirement sec et juste après je me suis écrasé violemment sur le sol. Je me suis retrouvé par terre, allongé, les yeux toujours fermés très fort, me demandant où j’étais et ce qu’il se passait. J’ai ouvert les yeux et j’ai vu tout de suite au-dessus de moi un bout de mon écharpe accroché à la branche : elle s’était déchirée en plein milieu ! Je me suis fait mal au genou droit en retombant, mais le mélange de feuilles, de brindilles et de terre formait une couche assez épaisse pour amortir ma chute.

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