On aurait dit juillet by Josée Bilodeau

On aurait dit juillet by Josée Bilodeau

Auteur:Josée Bilodeau
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 978-2-7644-1753-9
Éditeur: Québec Amérique


Nicolas et Suzanne partagent un mirage

Q

uatre ambulances descendent la rue vers le sud. On dirait un troupeau de buffles jaunes hurlant dans la savane, pense Suzanne. L’air chaud miroite devant le bloc qu’elles forment, laissant croire à un mirage. C’est vrai que c’est presque irréel de les voir s’avancer ainsi groupées, gyrophares allumés, comme un présage d’apocalypse. Suzanne n’a jamais vu quelque chose de semblable, jamais. Son voisin de file à l’arrêt d’autobus sort un appareil photo et fixe l’instant. Ils échangent un sourire, contents de partager l’étrangeté du jour, sans quoi ils auraient pu douter d’eux-mêmes, après coup, quand seule l’impression persiste. Puis ils reprennent vite le sérieux qui convient, les sourcils froncés, le front barré et le cœur subitement à l’étroit. Autant d’ambulances pour combien de personnes ? On imagine facilement un carnage, un fléau sans nom ou un immense carambolage paralysant le bas de la ville et empêchant l’autobus de se pointer à l’arrêt. Suzanne et le photographe les suivent du regard tant qu’elles sont visibles, ensuite, ils retournent en eux-mêmes, chacun de son côté inquiet de ce qui a bien pu se passer, et de l’autobus qui n’arrive pas. Suzanne se met à rêver d’air frais et d’un bon film, de n’importe quoi qui la distrairait de cette curieuse matinée.

Puis, c’était inévitable, elle pense à sa mère, à son dernier voyage en ambulance, il y a trois mois, et elle se sent mal. La chaleur la fait vaciller. Elle lève la main en même temps que son voisin de file pour faire signe au taxi, surgi d’on ne sait où. Le photographe tente de lui sourire à nouveau, mais devant le visage livide de Suzanne et son air égaré, il s’empresse de lui tenir le bras pour la faire monter dans la voiture qui approche. Il monte ensuite à côté d’elle comme s’il était devenu son saint-bernard, lui demande où elle désire aller. Suzanne donne l’adresse de la maison de sa mère, celle qu’elle a habitée jusqu’à sa mort. Trois mois aujourd’hui, se dit-elle encore. La précision lui fait mal. Elle ferme ensuite les yeux et se met à sangloter. La voiture démarre, emporte Suzanne vers la maison vide de son enfance, un inconnu à ses côtés lui tenant la main. Quand il lui demande s’il peut prendre une photo de sa peine, Suzanne se surprend à répondre oui d’une toute petite voix qui n’est pas la sienne.



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.