On a raison de se révolter by Alain Badiou

On a raison de se révolter by Alain Badiou

Auteur:Alain Badiou
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Fayard
Publié: 2018-01-15T00:00:00+00:00


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Il y a eu trois Mai 68

Le troisième…

Ce troisième Mai 68, plus proche sans doute du premier que du second, mais en définitive hétérogène aux deux, je l’appellerai le Mai libertaire. On pourrait dire qu’il ne se situe exactement ni dans les levées démocratiques (au sens réel, un peu anarchisant, en tout cas non parlementaire du terme), ni dans les paramètres de lutte des classes tels qu’ils sont véhiculés par le PCF, la CGT, et aussi les organisations trotskistes comme Lutte ouvrière. On pourrait plutôt l’annexer à une tradition du communisme utopique, celui de Fourier, ou encore, à un niveau plus intellectualisé, à la tradition surréaliste, celle qui pense que « révolution » veut d’abord dire : changements esthétiques de nos vies.

En ce dernier sens, le penseur fétiche de ce troisième Mai 68 a pu être Guy Debord, grand descendant moderne du surréalisme des années vingt et théoricien stylé, quelque peu aristocratique, du communisme comme mutation existentielle dans un monde désaliéné, extirpé de la marchandise et du culte de la consommation. Encore aujourd’hui, certains attribuent du reste à Debord une importance quasi centrale en Mai 68, même si en réalité il n’a fait qu’effleurer le premier des trois Mai, et donner quelques vocables au troisième, sans avoir eu aucun rapport réel au second. Il y a quelque chose de comparable dans le destin, à propos de Mai 68, du vitalisme philosophique de Deleuze. Personnellement, Deleuze restait éloigné de la politique militante. Mais sa forte pensée a servi à faire du « mouvement », et de lui seul, la catégorie en laquelle se cristallise la promesse des mondes nouveaux et des vies sublimées, et du désir, le moteur individualisé du mouvement.

Il faut dire que le matériau du troisième Mai 68 se prêtait à ce genre de variation. Les questions dominantes y étaient en effet la transformation des mœurs, les nouveaux rapports amoureux, la liberté individuelle. Le mouvement étudiant était interrogé du biais de la « misère sexuelle ». L’esthétique l’emportait largement sur la politique. C’est ce chaudron anarchisant qui va donner une partie de sa couleur au mouvement des femmes, comme à celui des droits et de l’émancipation des homosexuels. Toute cette agitation vitale va aussi affecter la sphère culturelle, avec l’idée d’un nouveau théâtre où le corps est la présence principale, celle d’une nouvelle forme de parole publique, d’un nouveau style de l’action collective, à travers la promotion du happening, de l’improvisation et les états généraux du cinéma… Cela constitue aussi une composante particulière de Mai 68, qu’on peut dire idéologique, et qui, si elle tourne parfois à la parole snob et aux langueurs festives, n’en participe pas moins à la tonalité générale de l’événement.



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