Nu intérieur by Belinda Cannone

Nu intérieur by Belinda Cannone

Auteur:Belinda Cannone [Cannone, Belinda]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Littérature française
ISBN: 9782823608045
Éditeur: de l'Olivier
Publié: 2015-02-03T23:00:00+00:00


VII

Que veut un homme ? Bien maligne qui le dira. Le sais-je, moi-même ? Je répugne à parler pour tous, mais je ne nous crois pas simples brutes assoiffées de chair féminine, égoïstes seulement préoccupés d’eux-mêmes, obsédés de pouvoir et incapables de retour sur soi (même si je connais et regrette notre difficulté à parler de l’intime)… Il est bon et juste d’avoir mis en lumière la sujétion millénaire des femmes – on me compta toujours parmi les féministes convaincus –, mais certaines ont fini par réduire l’engeance masculine à une série de caricatures : tueurs, violeurs, soldats, à peine contrariés. Que ne voyaient-elles au fond de moi ! Je me sentais si fragile, si vulnérable. Je voulais qu’Ellénore m’aime et me cajole, je voulais respirer son air, je voulais me lover au chaud dans ses pensées. Mon désir était un chemin pour accéder avec elle au nu intérieur.

Au printemps, l’étrange beau temps revint et avec lui une intense pollution. La préfecture avait décidé d’interdire la circulation dans la journée et je ne me déplaçais plus qu’à pied, tout étonné de m’accoutumer si vite à une ville sans voitures, marchant sans cesse pour m’apaiser et pour, seul dans la foule, regarder tout mon saoul Ellénore en moi, car j’étais plein d’elle comme une coupe débordant. Certains soirs nous allions danser dans des milongas sauvages au bord du fleuve et elle prenait de belles photos – danseurs fantomatiques éclairés par les derniers bateaux-mouches, arbres en promesse de feuillage, entremêlements savants de jambes sur des reflets d’eau noire –, elle s’enchantait de nos heures d’errance nocturne dans la ville, en sueur, éreintés et joyeux, enfantins – belle amante, ta culotte sentira si bon tout à l’heure – qui te dit que j’en porte ? – ah, c’est donc pourquoi tu as l’air si nue –, puis, dans la chambre rouge, nos étreintes alenties par la fatigue faisaient lever en moi un bonheur déchirant. Il était impossible qu’elle ne fût pas sensible à l’extrême beauté de ces instants. Pourtant elle ne les commentait jamais et souvent, au matin, je la trouvais distante et comme pressée de me voir partir – mais peut-être était-ce simplement que, déraisonnable, j’aurais aimé m’attarder. Dès la rue j’envoyais un texto, Tu me manques déjà.

Elle me manquait tout de suite et en même temps, éperdu, constamment préoccupé par sa colère sourde, j’étais devenu incapable d’estimer à quel point je l’aimais. Si, au lieu d’éprouver une inquiétude qui me brouillait la vue, j’avais été serein, j’aurais pu mesurer le degré de mon amour (je dis amour pour aller plus vite). Alors que je ne pouvais songer qu’au sien dont le manque, au lieu d’affermir mes sentiments, les rendait incertains et comme maladifs. Les jours où je me sentais suffisamment heureux, je me disais qu’il existait une solution, la plus juste peut-être, qui ferait cesser l’inquiétude et fixerait le bonheur : quitter l’Une. Mais dès que je commençais à caresser cette perspective, le baiser refusé ou dix autres petits faits accablants



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