Nous Autres by Eugène Zamiatine

Nous Autres by Eugène Zamiatine

Auteur:Eugène Zamiatine [Zamiatine, Eugène]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Politique fiction
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2010-03-25T04:00:00+00:00


NOTE 20 – Décharge. La matière d’une idée. Le roc zéro.

« Décharge » est le terme le plus convenable. Je vois maintenant que c’était exactement comme une décharge électrique. Les pulsations de ces derniers jours étaient devenues plus saccadées, plus fréquentes et plus tendues ; les pôles se rapprochaient, je pouvais entendre leur craquement sec ; encore un millimètre et une explosion retentit, ensuite ce fut le silence.

Tout en moi est maintenant très calme. Je me sens vide comme une maison quand tout le monde est sorti. On reste seul, malade, et on entend distinctement le choc métallique des idées.

Il se peut que cette « décharge » m’ait guéri de cette âme douloureuse et que je sois redevenu comme nous sommes tous. Tout au moins, je puis voir mentalement, sans aucune espèce de souffrance, O sur les marches du Cube, sous la Cloche Pneumatique. Et, si là-bas, dans l’Opératoire, elle cite mon nom, tant pis : au dernier moment, je baiserai religieusement et avec reconnaissance la main justicière du Bienfaiteur. Envers l’État Unique, j’ai le droit de subir un châtiment ; ce droit, je ne le céderai pas. Personne d’entre nous ne peut et n’ose abandonner ce droit unique et par conséquent très précieux.

… Mes pensées s’entrechoquent doucement, avec un bruit de métal ; l’avion inconnu me transporte dans les régions bleues de mes chères abstractions. Toutes mes méditations sur le « droit unique », dans cet air pur et raréfié, éclatent comme un ballon de caoutchouc, avec un léger claquement. Je m’aperçois que c’est seulement un vieux souvenir du préjugé absurde des anciens et de leurs idées sur le « droit ».

Il y a des idées d’argile et des idées éternelles, coulées dans l’or ou dans notre précieux verre. Pour déterminer la matière d’une idée, il suffit de la soumettre à un acide très fort. Les anciens, semble-t-il, connaissaient un de ces acides : la reductio ab absurdo, mais ils le craignaient et préféraient voir un ciel quelconque, un ciel d’argile, plutôt que le néant bleu. Grâce au Bienfaiteur, nous avons dépassé ce stade et nous n’avons plus besoin de jouets.

Traitons à l’acide l’idée de « droit ». Les plus sages des anciens savaient déjà que la force est la source du droit et que celui-ci n’est qu’une fonction de la force. Supposons deux plateaux de balance ; sur l’un se trouve un gramme et sur l’autre une tonne, je suis sur l’un, et les autres, c’est-à-dire « Nous », l’État Unique, sont sur l’autre. N’est-il pas évident qu’il revient au même d’admettre que je puis avoir certains « droits » sur l’État Unique que de croire que le gramme peut contrebalancer la tonne ? De là une distinction naturelle : la tonne est le droit, le gramme le devoir. La seule façon de passer de la nullité à la grandeur, c’est d’oublier que l’on est un gramme et de se sentir la millionième partie d’une tonne…

J’entends vos protestations dans mon silence bleu, habitants pourpres de Vénus, habitants d’Uranus, noirs comme des forgerons.



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