NostalgieS by Herménégilde Chiasson

NostalgieS by Herménégilde Chiasson

Auteur:Herménégilde Chiasson
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Prise de parole
Publié: 2014-06-19T00:00:00+00:00


L’océan limité

Charles Aznavour chante Que c’est triste Venise et, du haut du troisième étage du collège Saint-Joseph, où je suis interne, je regarde défiler l’Océan Limité en provenance de Halifax, en route vers Montréal, et qui passe au loin dans la vallée de Memramcook. Tous les jours, je m’amuse à compter le nombre de wagons des trains de marchandise qui empruntent ces rails, comme je compte les jours qui me séparent du moment où j’emprunterai la même voie pour me rendre dans ce village enneigé, un autre Noël, et je compte le temps qu’il me reste avant de prendre définitivement le train qui m’emmènera loin de cette fenêtre et loin de ce temps dont je ne mesure pas le bonheur.

Il y a tellement de choses que je ne sais pas. Et les jours se succèdent dans cette quiétude, cet ennui et le sentiment qu’il ne se passe rien d’autre qu’une attente, qu’une interminable préparation qui nous permettra à tous de mériter notre dû, privilèges que l’on promet à ceux dont la patience aura fait ses preuves. Je ne réalise pas que ces heures passées à la bibliothèque à regarder des livres d’art dont on a arraché les nus, ces après-midis de congé à rêvasser près d’un lac que borde un sentier longeant une falaise, ces prières, que l’on récite le soir en suivant le religieux qui nous fait ânonner le chapelet ou le matin alors que nous essayons de reprendre conscience, ces versions latines aussi inutiles que contraignantes, ces films et ces récitals de musique, ces cours et ces lectures, tous vont faire partie de ma vie dans une sorte d’intimité reposante dont je m’appliquais alors à nier les effets bienfaisants. Incapable d’évaluer le temps précieux qui m’était dévolu, je me concentrais alors comme toujours à aménager des fuites aussi nombreuses que futiles afin de diluer les expériences présentes dans un futur antérieur, une sorte de paradis égaré dont je mesure mal les dégâts et dont je constate les effets chaque fois que je retourne sur les lieux où j’ai vécu ces moments, un espace irrécupérable, et le vague à l’âme qui s’installe, sorte de chronique intérieure fuyant par toutes les bribes avec lesquelles je tente désespérément, de me reconstituer des souvenirs tolérables, des instants de félicité.

Il y a toujours la patine verte de cette statue en bronze pour nous rappeler la présence du fondateur, statue sur laquelle des générations ont lancé leur bouteille d’encre au moment de leur libération, les tennis dans la cour arrière et l’herbe qui traverse maintenant l’asphalte, les verts du terrain de golfe qui a remplacé le sentier bucolique menant au lac, la chapelle convertie en salle de conférence ou en cour de basketball, les salons devenus galerie d’art, tout est là, vaguement reconnaissable et pourtant tout a disparu, transformé en un lieu où nous sommes désormais des intrus. Reste cet escalier où l’on voyait dévaler les hordes affamées qui se ruaient vers la cafétéria et contre qui nous avions juré de gagner la course



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