Mon maître et mon vainqueur by François-Henri Désérable

Mon maître et mon vainqueur by François-Henri Désérable

Auteur:François-Henri Désérable [Désérable, François-Henri]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782072900976
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2021-06-17T09:52:03+00:00


Aux rencontres fortuites

Aux écarts de conduite

À nos chambres secrètes

Aux puissances discrètes

Obscures des hasards

Et à tout ce bazar

Que ça fout dans nos vies

À la vie à l’envie

De tes lèvres soudain

De ta langue et tes mains

Caressant à loisir

Mon corps nu au plaisir

Au vertige à l’émoi

Qu’on ressent toi et moi

Je trinque avais-tu dit

Je trinque à tout cela

Mon amour e basta

Così

12

M’adressant au juge, je songeais au greffier.

Pour lui raconter cette histoire – la raconter au juge, c’était la raconter au greffier –, je convoquais mes souvenirs, or mes souvenirs étaient passés au prisme déformant de la mémoire, et je songeais qu’il pouvait bien y mettre tout son zèle, le greffier, et taper scrupuleusement, consciencieusement chacun de mes mots, ça n’était jamais qu’au passé recomposé qu’il la mettait par écrit, cette histoire.

Elle semblait de toute façon lui passer au-dessus de la tête. Il l’écoutait parce qu’il le fallait, il faisait son boulot, voilà tout. Ils me fatiguent, ces deux couillons épris d’absolu, avec leur énième variation d’un amour réciproque malheureux, avec leur sensibilité exubérante, leur romantisme noir, elle et son vague à l’âme opiniâtre et sauvage, et lui, n’en parlons pas, ce Werther au petit pied, ses malheurs nains et ses poèmes de pacotille – voilà ce qu’il devait penser, le greffier. Il avait tout de l’homme prudent et diligent, raisonnable et soucieux, menant une vie conjugale paisible et nonchalante, économe en battements de cœur – le bon père de famille, au sens où l’entendait le Code civil il n’y a pas si longtemps. Il était de ceux qui portent une ceinture et des bretelles, boivent avec modération, souscrivent des polices d’assurance, préconisent de la tempérance en toutes choses, méprisent le mépris des conventions, raillent les chagrins d’amour et s’en tiennent éloignés aussi loin que possible.

Mais peut-être qu’au fond j’avais tort. Sous le costume du greffier, à gauche de la cravate, un cœur battait, et lui aussi dans sa jeunesse, avant de reporter ses désirs sur des passions moins dévorantes, pêche à la mouche, collection de timbres ou randonnée en montagne, lui aussi avait dû rêver de romances dont il ferait des romans – il n’est pas un greffier qui ne porte en lui les débris d’un immense écrivain. Et si Tina s’était trouvée là, avec moi, dans le bureau du juge, et qu’elle avait pu lire dans mes pensées, elle m’aurait mis en garde à sa façon, et sa façon à elle c’était d’exhumer une phrase piochée dans ses lectures pour la ressortir au moment opportun – peut-être alors qu’elle m’aurait dit ce qu’avait écrit Jules Renard : « On peut être poète avec les cheveux courts. »

Vasco, ai-je repris, avait les cheveux de plus en plus courts. L’inquiétude le rongeait : le mariage approchait, et rayer Tina de sa vie lui paraissait aussi inconcevable, aussi insensé que de la ravir à la sienne. Les joueurs d’échecs ont un terme pour ça : zugzwang. « Être en zugzwang », c’est être obligé de jouer un coup perdant. Peu importe le coup qu’il pouvait jouer, il semblait à Vasco qu’il allait perdre.



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