Mimesis: The Representation of Reality in Western Literature by Erich Auerbach

Mimesis: The Representation of Reality in Western Literature by Erich Auerbach

Auteur:Erich Auerbach [Auerbach, Erich]
La langue: eng
Format: azw3
Tags: History, Philosophy, Nonfiction, Writing
ISBN: 9780691113364
Éditeur: Princeton University Press
Publié: 1942-01-01T00:00:00+00:00


12

L’HUMAINE CONDITION

LES autres forment l’homme: je le recite; et en représente un particulier bien mal formé, et lequel si j’avoy à façonner de nouveau, je ferois vrayment bien autre qu’il n’est. Meshuy, c’est fait. Or, les traits de ma peinture ne fourvoyent point, quoiqu’ils se changent et diversifient. Le monde n’est qu’une branloire perenne. Toutes choses y branlent sans cesse: la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Aegypte, et du branle public et du leur. La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant. Je ne puis asseurer mon object; il va trouble et chancelant, d’une yvresse naturelle. Je le prens en ce poinct, comme il est, en l’instant que je m’amuse à luy: je ne peinds pas l’estre, je peinds le passage; non un passage d’aage en autre, ou, comme dict le peuple, de sept en sept ans, mais de jour en jour, de minute en minute. Il faut accomoder mon histoire à l’heure; je pourray tantost changer, non de fortune seulement, mais aussi d’intention. C’est un contrerolle de divers et muables accidens, et d’imaginations irresolues, et, quand il y eschet, contraires; soit que je soys autre moy-mesmes, soit que je saisisse les subjects par autres circonstances et considérations. Tant y a que je me contredis bien à l’adventure, mais la verité, comme disoit Demades, je ne la contredis point. Si mon ame pouvoit prendre pied, je ne m’essaierois pas, je me resoudrois; elle est tousjours en apprentissage et en espreuve.

Je propose une vie basse et sans lustre: c’est tout un; on attache aussi bien toute la philosophie morale à une vie populaire et privée, que à une vie de plus riche estoffe: chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. Les autheurs se communiquent au peuple par quelque marque particuliere et estrangiere; moy le premier par mon estre universel, comme Michel de Montaigne, non comme grammairien, ou poete, ou jurisconsulte. Si le monde se plaint de quoy je parle trop de moy, je me plains de quoy il ne pense seulement pas à soy. Mais est-ce raison que, si particulier en usage, je pretende me rendre public en cognoissance? est-il aussi raison que je produise au monde, où la façon et l’art ont tant de credit et de commandement, des effets de nature et crus et simples, et d’une nature encore bien foiblette? est-ce pas faire une muraille sans pierre, ou chose semblable, que de bastir des livres sans science et sans art? Les fantasies de la musique sont conduictes par art, les miennes par sort. Au moins j’ay cecy selon la discipline, que jamais homme ne traicta subject qu’il entendist ne congneust mieux que je fay celuy que j’ay entrepris, et qu’en celuy-là je suis le plus sçavant homme qui vive; secondement, que jamais aucun ne penetra en sa matiere plus avant, ni en esplucha plus particulierement les membres et suites, et n’arriva plus exactement et plus plainement à la fin qu’il s’estoit proposé à sa besoingne. Pour la parfaire, je n’ay besoing d’y apporter que la fidelité: celle-là y est, la plus sincere et pure qui se trouve.



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