Meroé by Olivier Rolin

Meroé by Olivier Rolin

Auteur:Olivier Rolin [Rolin, Olivier]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Éditeur: Seuil
Publié: 1998-01-04T23:00:00+00:00


Je me souviens à présent, dans ma chambre de l’hôtel des Solitaires, qu’une des dernières fois, la dernière peut-être, où nous avons fait l’amour, c’était dans un hôtel d’une petite ville dont le nom m’échappe, escaladant une butte crayeuse crêtée par une cathédrale, avec tout autour les terres sinistres et prospères, gorgées de morts, de la Champagne. Nous étions allés là-bas « en week-end » : mot, idée qui suscitaient mes sarcasmes, évoquant pour moi quelque chose de ridiculement bourgeois, tandis qu’Alfa, peut-être, rêvait de ce genre de vie paisible, répétitive, que scandent les escapades dominicales (si elle avait ce désir conformiste, je ne sais, je l’imagine seulement : mais cela eût-il été le cas qu’elle n’eût pas été plus imbécile que moi : elle apaisait juste son angoisse d’une autre façon, en cherchant à se conformer à d’autres modèles, plus banals et confortables. C’est, au moins, ce que j’essaie de croire à présent qu’il ne sert plus à rien d’être compréhensif). Les cloisons de l’hôtel semblaient de carton, de notre chambre on entendait les tintements des casseroles dans la cuisine où l’on préparait le dîner, les pas des voyageurs de commerce dans l’escalier, nous avions baisé frénétiquement mais en silence, rengorgeant nos cris comme si des ennemis mortels nous eussent cernés, aux aguets. Et en effet c’était la mort qui nous contemplait, les centaines de milliers de squelettes embrassés par la terre, cette danse macabre autour de notre lit, ces foudroyés dans l’argile et la craie, orbites pleines de vers et de semences, toute l’armée perse conduite par Péguy et le Grand Meaulnes, le never more aussi pour nous deux, mais ce soir-là je ne le savais pas. Je le redoutais, mais je me cramponnais à l’idée que par nos corps extrêmement vivants encore le salut viendrait. Que ces tombes anonymes, ces momies roides sous le blé et les vignes, n’avaient rien à nous dire sur notre vie. Nous avions été ce soir-là, il me semble, si parfaitement heureux dans l’angoisse des ossuaires. Le lendemain, éveillés par les bruits de l’hôtel, nous étions partis de bonne heure. Nous avions roulé au hasard et soudain, au bout d’une petite route départementale, buté contre un immense cimetière, milliers de croix blanches que le soleil matinal faisait scintiller dans l’herbe sombre. C’était le Chemin des Dames. J’avais appris à Alfa qu’il s’était passé une chose terrible qu’on avait appelée, ensuite, Première Guerre mondiale. Tant de férocité, elle n’en revenait pas.



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